mardi 26 juin 2018

Leadership : il ne faut pas croire au Père Noël




Dans le domaine du leadership, il y a un écart entre le discours et la réalité.

Dans Leadership B.S., Jeffrey Pfeffer constate l’existence d’un fossé entre le discours sur le leadership et la réalité du leadership. La plupart des experts en leadership racontent des histoires de dirigeants humbles, qui ne mentent jamais et qui sont à l’écoute des autres. Si ces histoires sont agréables à écouter, elles ne reflètent pas du tout la réalité. Dans le monde de l’entreprise, les gens qui arrivent au sommet ont souvent un égo démesuré. Ils n’hésitent pas à mentir pour parvenir à leurs fins et ne sont pas forcément à l’écoute des autres.

Comment expliquer le décalage entre le discours sur le leadership et la réalité du leadership ? Aujourd’hui, n’importe qui peut se revendiquer expert en leadership. Pour devenir un auteur ou un conférencier à succès, il est beaucoup plus important de bien s’exprimer que de connaitre les résultats des recherches qui ont été menées sur le leadership. Plutôt que de décrire la réalité du leadership, les pseudo-experts racontent aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. Par exemple, le gourou du leadership Simon Sinek a intitulé son dernier "best seller" Leaders eat last. Mais qui croit vraiment que les "leaders se servent en dernier" (à part Simon Sinek) ? Il suffit de jeter un coup d’œil aux rémunérations des dirigeants des grandes entreprises pour se rendre compte que ce n’est pas le cas !

En bref, nous voudrions tous que les leaders soient humbles, qu’ils ne mentent jamais et qu’ils soient à l’écoute des autres. Malheureusement, les recherches publiées dans les meilleures revues académiques ont montré qu’on a beaucoup plus de chances de connaître le succès lorsqu’on a un égo démesuré, qu’on n’hésite pas à mentir pour parvenir à ses fins et qu’on fait passer ses intérêts avant ceux des autres. On peut le déplorer mais c’est (malheureusement) la réalité.

Source : Pfeffer, J. (2015). Leadership BS: Fixing workplaces and careers one truth at a time. HarperCollins.

vendredi 8 juin 2018

Comment rater sa transformation digitale ?



 
Il ne suffit pas d'avoir une bonne stratégie pour réussir sa transformation digitale. Il faut aussi parvenir à la mettre en oeuvre ...

En 2012, David Jones, le PDG de Havas, décide de racheter Victors and Spoils. Fondée en 2009, Victors and Spoils est une agence de crowdsourcing publicitaire. Plutôt que de faire appel à des créatifs, elle utilise la "foule" pour générer des idées. Son business model est donc très différent de celui des agences de publicité traditionnelles. D’après John Winsor, le PDG de Victors and Spoils, cette approche novatrice permet de diminuer très sensiblement le coût des campagnes publicitaires tout en conservant un très haut niveau de créativité.

Malheureusement, la greffe ne prendra jamais. Bien qu’il ait été nommé Chief Innovation Officer de Havas, John Winsor fait face à l’opposition farouche des créatifs. Les responsables des filiales rechignent aussi à intégrer le crowdsourcing publicitaire à leur offre. Fin 2013, David Jones quitte l’entreprise. Comment expliquer cet échec ?

Contrairement à un grand nombre de dirigeants, David Jones avait une vraie stratégie digitale pour Havas. Mais il ne s’est pas suffisamment préoccupé de sa mise en œuvre. Plutôt que de la déléguer à John Winsor, il aurait dû :
  • mieux justifier la coexistence de l’activité d’origine et de l’activité digitale. Chez Havas, David Jones a fait le pari que le crowdsourcing était l’avenir de la création publicitaire. Malheureusement, il n’a pas réussi à persuader le reste de l'entreprise que le business model traditionnel et le crowdsourcing étaient des activités complémentaires. Pour les créatifs, le crowdsourcing représentait plus une menace qu'un opportunité de développement ;
  • obtenir l’appui du management. Si une nouvelle activité n’est pas "poussée" par le management, elle sera laminée par l’activité d’origine. Chez Havas, les responsables des filiales jouissaient d’une très forte autonomie. Plutôt que d’investir dans le crowdsourcing, ils ont préféré continuer à travailler comme ils l’avaient toujours fait. L'explication est simple. A court terme, il est toujours plus rentable de favoriser l’activité d’origine par rapport à la nouvelle activité ;
  • séparer l’activité digitale de l’activité d’origine (du moins à l'origine ...). La principale erreur commise par David Jones est de n’avoir pas suffisamment séparé l'activité de crowdsourcing de l'activité historique. Cela lui aurait sans doute évité d'être laminée. Mais la nouvelle activité ne doit pas non plus être trop isolée. Elle doit pouvoir bénéficier de synergies avec l’activité d’origine.

En bref, il ne suffit pas d’avoir une stratégie digitale pour réussir sa transformation digitale. Il faut aussi parvenir à la "vendre" à toute l’entreprise … et ce n’est pas toujours facile.

Source: O’Reilly, C., Tushman, M. (2016), Lead and disrupt: How to solve the innovator's dilemma, Stanford University Press.