jeudi 25 octobre 2012

Vaut-il mieux pour une entreprise avoir un dirigeant narcissique … ou pas ?



Le narcissisme est une caractéristique répandue chez les chefs d’entreprise. Quelle est l’influence de ce trait de caractère sur la stratégie et la performance des entreprises qu’ils dirigent ?

 Entre 1996 et 2001, Jean-Marie Messier décide de transformer la Générale des Eaux (un des leaders mondiaux dans les domaines de l’eau, de l’énergie et de la propreté) en Vivendi (une entreprise spécialisée dans les médias et le divertissement). A première vue, rien ne semble justifier cette décision. L’eau, l’énergie et la propreté sont des activités très rentables avec de bonnes perspectives de croissance. La Générale des Eaux n’a pas de compétences particulières dans les médias et le divertissement. Enfin, la diversification tous azimuts n’est plus vraiment à la mode. Comment expliquer une stratégie aussi ambitieuse … mais qui va finalement se révéler catastrophique ? Un trait de caractère de celui qui aimait à se faire appeler J6M (Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde) a peut-être joué un rôle plus important qu’on ne le pense.

Le narcissisme des dirigeants
Arijit Chatterjee et Donald Hambrick ont étudié l’influence du narcissisme des dirigeants sur la stratégie et la performance des entreprises. D’après eux, deux caractéristiques distinguent les dirigeants narcissiques des autres. D’une part, ils sont convaincus de leur supériorité, voire de leur toute-puissance. D’autre part, ils ont besoin d’être admirés et aimés. Comment mesurer le narcissisme des dirigeants de la manière la plus objective possible ? Les auteurs ont utilisé plusieurs indicateurs particulièrement originaux comme la taille de leur photographie dans le rapport annuel de l’entreprise (!), leur mention systématique dans les communiqués de presse de l’entreprise, la fréquence à laquelle ils utilisent le « je », le « moi » et le « moi-même » dans les interviews qu’ils donnent à la presse ainsi que le ratio entre leur rémunération et celle du second dirigeant le plus payé dans leur entreprise. Ils ont testé leurs hypothèses sur un échantillon de 111 PDG dans le secteur informatique (hardware et software).

Narcissisme et stratégie

Le narcissisme des dirigeants influence-t-il la stratégie de leur entreprise ? Les résultats sont très clairs. Ils indiquent que plus les dirigeants sont narcissiques, plus ils ont tendance à prendre des décisions audacieuses. En particulier, ils ont tendance à investir plus et surtout à faire beaucoup plus d’acquisitions que les autres dirigeants. Pourquoi autant d’acquisitions ? Leur sentiment de toute-puissance les persuade qu’ils sauront mieux gérer les entreprises rachetées que le dirigeant précédent. Surtout, les fusions attirent l’attention des médias et du grand public. Cela répond très bien à leur besoin d’être sous les feux de la rampe !

Narcissisme et performance
Quel est alors l’impact du narcissisme des dirigeants sur la performance de leur entreprise ? En moyenne, les entreprises dirigées par un PDG narcissique ne sont ni plus performantes ni moins performantes que les autres ... En revanche, leur niveau de performance est plus variable (d’une année sur l’autre) et plus extrême que celui des autres entreprises. Comment expliquer ces résultats ? Les dirigeants narcissiques ont tendance à mettre en œuvre des stratégies plus ambitieuses que les autres. Mais les stratégies les plus ambitieuses sont également les plus risquées … Dans certains cas, le succès sera considérable. Dans d’autres cas, l’échec sera retentissant. Quand on prend en compte les deux cas de figure, la performance des dirigeants narcissiques n’est ni moins bonne ni meilleure que celle des autres dirigeants. Elle est tout juste moyenne.

Pour revenir à Jean-Marie Messier, sa stratégie pour Vivendi était ambitieuse. Elle avait peu de chances de se concrétiser par un niveau de performance moyen. Elle était vouée à un connaître un succès considérable ou un échec retentissant. Malheureusement, c’est le second cas qui s’est produit.

mercredi 17 octobre 2012

Quelles sont les qualités à développer pour devenir un entrepreneur à succès ?



Certains entrepreneurs parviennent à repérer les opportunités que les autres ne voient pas. Comment font-ils ? Quelles sont les qualités à développer pour y parvenir ?

Une recherche de Jeff Dyer, Hal Gregersen et Clayton Christensen apporte des éléments de réponse particulièrement instructifs à cette question. Pendant huit ans, ils ont étudié les habitudes de vingt-cinq entrepreneurs très connus tels que Jeff Bezos (Amazon), Michael Dell (Dell !), Pierre Omidyar (eBay), Herb Kelleher (Southwest Airlines). Ils ont également interrogé 500 entrepreneurs moins connus et 5000 managers …

Cela leur a permis de constater que les entrepreneurs possèdent cinq aptitudes que l’on ne retrouve pas chez les managers :
  • l’intelligence associative. L’aptitude à faire le lien entre des choses qui ne paraissent pas liées à première vue est cruciale. C’est une aptitude fondamentale qui distingue les entrepreneurs des managers et qui leur permet de repérer les opportunités que les autres ne voient pas. Comme le disait souvent Steve Jobs : « La créativité, c’est savoir faire le lien entre les choses » (« creativity is connecting things »). Steve Jobs a été capable de repérer tellement d’opportunités parce qu’il a passé sa vie à étudier des choses nouvelles et qui ne paraissaient pas liées : la calligraphie, la méditation, l’art du détail de constructeurs automobiles comme Mercedes …
  • le goût pour le questionnement. Les entrepreneurs se posent beaucoup plus de questions que les managers. Contrairement aux managers, les entrepreneurs ont du mal à accepter le statu quo et cherchent en permanence à faire bouger les choses : « J'étais un consommateur frustré ... Je voyais qu’un ordinateur contenant pour 600 dollars de composants était vendu 3.000 dollars. Cela me semblait insensé. Je me suis vraiment demandé pourquoi un ordinateur coûtait cinq fois plus cher que les composants qu’il contenait» (Michael Dell). 
  • le sens de l’observation. Les entrepreneurs passent beaucoup plus de temps que les managers à observer avec attention le monde qui les entoure. Ils repèrent alors des choses qui peuvent paraître insignifiantes à première vue … mais qui peuvent également être des sources d’inspiration : « J'ai eu l'idée de ce programme en voyant ma femme travailler et se plaindre … Elle perdait beaucoup de temps et faire sa comptabilité était une véritable corvée » (Scott Cook, fondateur d'Intuit)
  • le goût pour l’expérimentation. Les managers sont souvent réticents à expérimenter car cela leur semble être une perte de temps. A l’inverse, les entrepreneurs passent énormément de temps à essayer des choses nouvelles. La plupart du temps, cela ne donne rien. De temps en temps, les résultats sont spectaculaires. D’après Meg Whitman, l’ancienne PDG d’eBay : « Ils aiment vraiment bricoler et expérimenter. Je dirais que c’est l’une des caractéristiques communes de tous les entrepreneurs. » 
  • l’art de cultiver son réseau. Alors que le réseau des managers se compose surtout de personnes susceptibles de les faire progresser dans leur carrière, celui des entrepreneurs est beaucoup diversifié. Cela leur permet d’enrichir considérablement leur vision du monde. D'après Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay : « La plupart de mes nouvelles idées viennent de ce que j'appelle une synthèse de contributions extérieures … Je valorise tout particulièrement les idées qui viennent d’endroits improbables. Pour faire cliché, je préfère parler avec un employé du service du courrier qu’avec le PDG d’une entreprise. »

En bref, l’intelligence associative est sans doute la principale aptitude à développer pour espérer devenir un entrepreneur à succès. Mais pour parvenir à « penser différemment », il faut commencer par « agir différemment ». C’est là que les quatre autres aptitudes entrent en jeu … On ne peut pas faire le lien entre des choses qui ne paraissent pas liées si l’on ne commence pas par se poser des questions, observer, expérimenter et cultiver son réseau.

mercredi 3 octobre 2012

Qu’est-ce que l’effet de halo (et pourquoi pratiquement tout ce que l’on peut lire sur les entreprises est faux) ?



De nombreuses analyses sont menées pour essayer de comprendre les raisons du succès (ou de l’échec) des entreprises. Malheureusement, la plupart de ces analyses sont fausses …


L’expérience de Barry Staw
Au milieu des années 1970, Barry Staw a mené l’expérience suivante. Il a commencé par demander à plusieurs groupes d’étudiants de prédire le chiffre d’affaires et les bénéfices futurs d’une entreprise à partir de ses bilans des années passées. Il a alors attribué des notes aux groupes … de manière totalement aléatoire. Puis, il a demandé aux étudiants de remplir un questionnaire décrivant la manière dont leur groupe avait travaillé. Comme on pouvait un peu s’y attendre, les étudiants des groupes qui avaient été bien notés ont tous indiqué qu’ils avaient fait preuve de motivation, que la dynamique du groupe était bonne et qu’ils s’étaient bien amusés ! Les étudiants des groupes qui avaient été mal notés ont tous dit l’inverse …Que s’est-il passé ?

Comme il est difficile d’évaluer quelque chose d’aussi complexe que la dynamique d’un groupe, les étudiants sont donc partis de la performance de leur groupe … et en ont inféré la qualité de sa dynamique. Ce phénomène est appelé effet de halo. Il a été étudié pour la première fois dans les années 1920 par le psychologue américain Edward Thorndike.

L’effet de halo dans le monde des affaires

Comme l’a bien montré Phil Rosenzweig, l’effet de halo est très répandu dans le monde des affaires. Il est difficile d’évaluer objectivement la stratégie d’une entreprise par exemple. Lorsqu’une entreprise se porte bien, on a alors tendance à conclure que sa stratégie est bonne. Lorsque sa performance se met à décliner, on est tenté de conclure que sa stratégie est mauvaise … même si elle n’a pas changé.

L’histoire de Cisco illustre bien ce phénomène. Entre 1995 et 2000, Cisco connaît une croissance très rapide. En mars 2000, sa capitalisation boursière atteint 555 milliards de dollars. Des magazines comme Business Week et Fortune vantent alors sa stratégie brillante. Ils insistent notamment sur sa capacité à écouter ses clients (« Aucun constructeur de réseaux ne s’est jamais focalisé sur les clients avec la précision chirurgicale dont Cisco a fait preuve dès le premier jour ») et à bien choisir puis intégrer les entreprises qu’elle acquiert (« Cisco a fait de l’acquisition une véritable science ... son aptitude à l’intégration est légendaire »). Son PDG, John Chambers, est également considéré par la presse comme le meilleur du monde. En avril 2001, la capitalisation boursière de Cisco perd 80% de sa valeur suite à l’éclatement de la bulle Internet. Les mêmes magazines se mettent alors à déplorer la pauvreté de sa stratégie. Ils remettent notamment en cause son orientation client et sa politique d’acquisitions … Cisco aurait « une attitude cavalière face à des clients potentiels » et ses techniques commerciales seraient « exaspérantes » pour ses clients … En dépit du bon sens, Cisco aurait « acheté tout ce qui bougeait entre 1993 et 2000. » En particulier, sa « diversification dans les produits de télécommunications révélait son côté fanfaron, suffisant, et une assurance qui confinait à la naïveté. »

Quelles leçons tirer de l’exemple de Cisco ?

Il est possible que Cisco ait radicalement changé entre 2000 et 2001 … mais c’est peu probable. Sa baisse de performance doit certainement beaucoup plus à l’éclatement de la bulle Internet qu’à la détérioration de sa stratégie. Plus fondamentalement, on peut se demander si les observateurs ont vraiment compris ce qui se passait … On ne peut pas vraiment reprocher aux journalistes d’être les victimes de l’effet de halo. Ils travaillent dans l’urgence et n’ont donc pas forcément le temps de mener des enquêtes approfondies. Il est plus gênant que certains « best sellers » du management soient également contaminés par l’effet de halo. On peut notamment penser à La révolution en tête, un ouvrage du « gourou » Gary Hamel qui glorifiait Enron … avant que l’on finisse par s’apercevoir que son succès reposait sur une fraude massive.