vendredi 30 octobre 2015

Agir ou ne rien faire : la leçon de stratégie du gardien de but face au penalty




Comme le montre l'exemple du gardien de but face au tireur de penalty, l'inaction est parfois préférable à l'action

Vous êtes gardien de but et vous faites face à un joueur qui s’apprête à tirer un penalty. L’issue du match en dépend. Une fois que le ballon a quitté le sol, il lui faut entre 2 et 3 dixièmes de seconde pour atteindre le but. Vous devez donc prendre une décision avant que le joueur frappe le ballon. Que faites-vous ?
  • vous plongez à gauche
  • vous plongez à droite
  • vous restez au milieu du but
Michael Bar-Eli, Ofer Azar, Ilana Ritov,Yael Keidar-Levin et Galit Schein ont étudié 286 tirs de penaltys (effectués dans les principaux championnats de football). L’analyse des bandes vidéo a montré que les gardiens buts plongent à gauche dans 49,3% des cas, à droite dans 44,4% des cas … et qu’ils ne restent au milieu du but que dans 6,3% des cas.

Le problème est que cela ne reflète pas du tout la façon dont les joueurs tirent les penaltys. Ils tirent à gauche dans 32,2% des cas, à droite dans 39,2% des cas … et au milieu du but dans 28,6% des cas. En d’autres termes, les gardiens de but plongent presque toujours … alors qu’ils auraient souvent intérêt à rester au milieu du but. Concrètement, ils ont 33,3% des chances d’arrêter un penalty lorsqu’ils restent au milieu du but … contre 14,2% de chances lorsqu’ils plongent à gauche et 12,6% des chances lorsqu’ils plongent à droite.

Comment expliquer le comportement des gardiens de but ? Près de 80% des penaltys se terminent par un but. Si un gardien de but encaisse un penalty après avoir plongé du mauvais côté, on ne lui en tiendra pas vraiment rigueur. On dira simplement qu’il n’a pas eu de chance. Si un gardien de but encaisse un penalty en restant immobile au milieu du but, il aura l’air ridicule. On lui reprochera de n’avoir rien fait pour l’arrêter. En bref, on reproche moins un échec à quelqu’un qui a tout fait pour l’éviter qu’à quelqu’un qui est resté les bras croisés … même lorsque c’était la meilleure chose à faire !

Source : Bar-Eli, M., Azar, O. H., Ritov, I., Keidar-Levin, Y., & Schein, G. (2007), “Action bias among elite soccer goalkeepers: The case of penalty kicks”, Journal of Economic Psychology, 28(5), 606-621.

vendredi 16 octobre 2015

Le management est-il plus important que la stratégie ?




Quelles sont les entreprises les plus performantes ? Est-ce une question de stratégie ou de management ?

Pourquoi certaines entreprises sont-elles plus performantes que les autres ? D’après Jean-Luc Arrègle et Thomas Powell, deux explications peuvent être avancées. La première explication est qu’elles ont une meilleure stratégie. Elles ont fait des choix ambitieux … qui se sont avérés « payants » et leur ont donné un avantage concurrentiel. La seconde explication est plus prosaïque : elles font moins d’erreurs de management.

Qu’est-ce qu’une erreur de management ? Dans tous les secteurs d’activité, il existe des « bonnes pratiques ». Alors que la plupart des entreprises connaissent leur existence, elles ne les adoptent pas forcément. C’est une erreur qui pourrait être facilement évitée …

En croisant la capacité d’une entreprise à détenir un avantage concurrentiel et à éviter les erreurs de management, on obtient quatre profils :
  • les entreprises qui ont un avantage concurrentiel et qui font peu d’erreurs de management ;
  • les entreprises qui n’ont pas d’avantage concurrentiel et qui font beaucoup d’erreurs de management ;
  • les entreprises qui n’ont pas d’avantage concurrentiel mais qui font peu d’erreurs de management ;
  • les entreprises qui ont un avantage concurrentiel mais qui font beaucoup d’erreurs de management.
Qui sont les entreprises les plus performantes ? Sans surprise, ce sont celles qui ont un avantage concurrentiel et qui font peu d’erreurs de management. De la même manière, les entreprises les moins performantes sont celles qui n’ont pas d’avantage concurrentiel et qui font beaucoup d’erreurs de management.

Les deux autres cas sont beaucoup plus intéressants. En général, les entreprises qui n’ont pas d’avantage concurrentiel mais qui font peu d’erreurs de management ne sont pas loin des entreprises les plus performantes. Elles surpassent nettement les entreprises qui ont un avantage concurrentiel mais qui font beaucoup d’erreurs de management. Harley Davidson – par exemple – a frôlé la faillite dans les années 1980. Alors que le constructeur de motos américain disposait d’une marque très réputée (et donc d’un avantage concurrentiel potentiel …), il n’avait pas adopté les « best practices » en matière de production. Cette erreur de management l’a considérablement fragilisé.

De nombreux dirigeants se refusent à faire les choix ambitieux qui permettraient à leur entreprise de développer un avantage concurrentiel. On peut les comprendre : c’est une démarche risquée. Une approche moins risquée consiste à essayer de réduire le nombre d’erreurs de management. Si elle ne permet pas d’atteindre un niveau de performance exceptionnel, elle garantit souvent des résultats honorables.

Source : Arrègle, J. L., & Powell, T. (2009), « Pour une approche plus équilibrée de la performance des firmes », Revue Française de Gestion, 196(6), 147-165.

jeudi 8 octobre 2015

Comment être sûr de mener une entreprise dans le mur ?



    

Deux trajectoires très différentes peuvent conduire les entreprises à l'échec ...


Dans le monde des affaires, on s’intéresse plus aux succès qu’aux échecs. C’est dommage car les échecs sont souvent plus instructifs que les succès ! Gilbert Probst et Sebastian Raisch ont étudié les 50 plus grandes faillites (Enron, Worldcom, Swiss Air …) et les 50 plus grands « crashes » (ABB, Time Warner, Vivendi Universal …) d’entreprises américaines et européennes entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Ils ont repéré deux façons de mener une entreprise dans le mur.

70% des entreprises doivent leur échec à un « burn out ». Ce syndrome se manifeste de la manière suivante :
  • une croissance excessive. En moyenne, le chiffre d’affaires des entreprises victimes du « burn out » a augmenté de 30% par an avant leur échec. Le chiffre d’affaires d’une entreprise comme Enron par exemple a augmenté de 2.000 % les cinq années précédant sa faillite ;
  • un changement incontrôlé. Les entreprises victimes du burn out changent trop rapidement. Cela a été le cas de Vivendi par exemple. En quelques années et à coup d’acquisitions, Jean-Marie Messier a totalement transformé une entreprise spécialisée dans l’eau, l’énergie et la propreté en un spécialiste des médias et du divertissement ;
  • des dirigeants mégalomanes. Les entreprises victimes du burn out ont souvent des dirigeants mégalomanes. Le PDG d’ABB (Percy Barnevik) était surnommé « le parrain », celui de Tyco (Dennis Kozlowski) « l’empereur romain » et celui d’Ahold (Cess van der Hoeven) le « Napoléon néerlandais » … ;
  • une culture d’entreprise qui met une trop forte pression sur les employés. Les entreprises victimes du burn out ont également tendance à mettre une telle pression sur leurs employés qu’ils finissent souvent par déraper. Pour atteindre des objectifs inatteignables, les dirigeants d’Enron ont ainsi franchi la « ligne jaune » en maquillant les comptes de l’entreprise.

Le syndrome du « vieillissement prématuré » explique l’échec du reste des entreprises. Il prend plusieurs formes :
  • une croissance en berne. En moyenne, le chiffre d’affaires des entreprises victimes du vieillissement prématuré a augmenté de 3% par an avant leur échec. Dans des entreprises comme Kmart, Kodak ou Xerox, il a même stagné ou régressé ;
  • un changement trop timide. Les entreprises victimes du vieillissement prématuré ont tendance à ne pas évoluer assez rapidement. L’exemple le plus connu est sans doute celui de Kodak qui a longtemps ignoré la photographie numérique pour ne pas compromettre son activité historique (la photographie argentique) ;
  • des dirigeants trop timorés. Les entreprises victimes du vieillissement prématuré ont souvent des dirigeants qui restent trop en retrait. Par exemple, le PDG de Motorola (Christopher Galvin, le petit-fils du fondateur) a longtemps refusé de faire les réformes dures mais nécessaires pour remettre l’entreprise sur les rails ;
  • une culture d’entreprise qui ne met pas assez de pression sur les employés. Dans les entreprises victimes du syndrome du vieillissement prématuré, la pression est généralement insuffisante pour motiver les employés. Résultat : l’entreprise stagne
Comme dans de nombreux domaines, tout est une question d’équilibre. Pour connaître le succès, il faut croître … mais pas trop vite. Il faut changer … mais pas en permanence. Il faut des dirigeants ambitieux … mais pas trop. Enfin, il faut une culture qui met une certaine pression sur les employés … mais pas trop non plus.

Source : Probst, G., & Raisch, S. (2005), “Organizational crisis: The logic of failure”, Academy of Management Executive, 19(1), 90-105.

lundi 5 octobre 2015

Pourquoi les entreprises ont-elles autant recours aux consultants ?



Les consultants peuvent jouer quatre grands rôles pour leurs clients : fournisseur d’informations, diffuseur de techniques de management, « passeur » de connaissances et intégrateur de connaissances.

Si les consultants sont parfois décriés, ils sont omniprésents dans le monde des affaires. Le chiffre d’affaires du secteur du conseil en management s’élèverait actuellement à plus de 200 milliards de dollars. Comment expliquer ce succès ?

Pour répondre à cette question, Anna Canato et Antonio Giangreco ont analysé tous les articles académiques publiés sur le conseil en management depuis trente ans. Leur analyse révèle que les consultants en management remplissent quatre rôles différents :
  • Fournisseur d’informations
Le premier rôle des consultants est de procurer des informations « brutes » à leurs clients (grandes tendances du secteur, évolution des technologies, positionnement par rapport à la concurrence …). L’objectif est simple : aider les clients à mieux comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent. Les consultants n’ont pas pour vocation d’exploiter ces informations. Cette tâche reste dévolue à leurs clients.
  • « Diffuseur » de techniques de management
Le deuxième rôle des consultants est de diffuser des « meilleures pratiques ». Les entreprises sont très sensibles aux effets de mode. En légitimant certaines pratiques de management, les consultants peuvent accélérer leur diffusion. De manière plus prosaïque, ce rôle consiste surtout à proposer les mêmes techniques de management à des clients différents …
  • « Passeur » de connaissances
Heureusement, les consultants ne se contentent pas de diffuser des « meilleures pratiques ». Leur troisième rôle est de développer des solutions « sur mesure » pour leurs clients. Les consultants excellent dans le rôle de « passeurs » de connaissances. Concrètement, ils s’appuient sur l’expérience qu’ils ont accumulée auprès d’un client pour développer une solution « sur mesure » pour un autre client.
  • « Intégrateur » de connaissances
Le quatrième rôle des consultants est d’aider leurs clients à mettre en œuvre les solutions qu’ils leur proposent. Il peut s’agir de « meilleures pratiques » ou de solutions « sur mesure ». Dans les deux cas, ils peuvent s’appuyer sur des opérations qu’ils ont déjà menées pour d’autres clients.

En conclusion, les consultants peuvent jouer des rôles très différents. Pour les clients, les implications sont claires. Il faut déterminer le rôle que l’on veut leur faire jouer … et choisir les meilleurs dans ce domaine.

vendredi 2 octobre 2015

Une vision stratégique est indispensable... même si elle est fausse !




On pense souvent qu'il vaut mieux ne pas avoir de vision stratégique qu'une vision stratégique fausse. C'est une erreur ...

Pendant des manœuvres dans les Alpes, le lieutenant qui commande un détachement de soldats demande à plusieurs d’entre eux d’effectuer une patrouille de reconnaissance. Il se met alors à neiger. Au bout de deux jours, la neige continue à tomber et la patrouille n’est toujours pas rentrée. Le lieutenant commence à craindre d’avoir envoyé ses hommes à la mort. Le troisième jour, la patrouille finit par rentrer. Les soldats expliquent alors qu’ils s’étaient perdus. Alors qu’ils s’étaient résignés à mourir, l’un d’entre eux a trouvé une carte dans sa poche. Ils ont alors attendu que la tempête se calme et ils se sont mis en route. Grâce à la carte, ils ont rapidement retrouvé le campement. Le lieutenant jette alors un œil à la carte. A sa grande surprise, il constate qu’il ne s’agit pas d’une carte des Alpes … mais d’une carte des Pyrénées !

L’histoire du détachement de soldats et de la patrouille de reconnaissance est bien connue. Elle est généralement attribuée à Karl Weick (même s’il semble qu’il l’ait empruntée à Miroslav Holub, un poète tchèque …). Quand Weick l’a racontée à un dirigeant, ce dernier lui aurait répondu : « L’histoire est intéressante. Mais elle aurait été encore plus intéressante si le soldat qui avait trouvé la carte avait su que ce n’était pas la bonne … et qu’il était malgré tout parvenu à ramener la patrouille au campement. »

Une entreprise peut-elle connaître le succès lorsque son dirigeant a une vision … mais qu’elle n’est pas forcément bonne … et qu’il le sait ? Une étude menée par Robert Baum, Edwin Locke et Shelley Kirkpatrick a répondu à cette question. L’étude porte sur 183 start-up américaines (69% d’entre elles avaient une vision et 31% n’en avaient pas …). Les résultats ont montré que le chiffre d’affaires des entreprises dont les dirigeants ont formulé une vision se développe deux fois plus rapidement que celui des entreprises dont le dirigeant n’a pas formulé de vision … qu’elle soit bonne ou mauvaise … qu’elle porte sur la croissance ou non !

En bref, il faut toujours formuler une vision … car cela permet de mettre une entreprise en mouvement ; Elle percevra alors des opportunités qu’elle ne pourrait pas percevoir si elle reste immobile … et elle finira souvent par connaître le succès !

Sources :
Baum, R., Locke, E., & Kirkpatrick, S. (1998), “A longitudinal study of the relation of vision and vision communication to venture growth in entrepreneurial firms”, Journal of Applied Psychology, 83(1), 43.
Weick, K. E. (1995), Sensemaking in organizations, Sage.