lundi 18 décembre 2017

Impossible d'innover si on a peur de faire des erreurs




Pour innover, il faut mener des expérimentations ...  et le succès n'est jamais garanti.

On a parfois l’impression que les entreprises ont tellement peur de faire des erreurs qu’elles ne parviennent plus à innover. Leur performance finit alors par décliner. Mais ce n’est qu’une intuition … Pour la tester, il faudrait demander à des entreprises de développer une phobie pour les erreurs. Puis, il faudrait mesurer l’impact de cette phobie sur leur capacité d’innovation et leur performance. Mais comment les convaincre de participer à cette expérience ?

En fait, ce ne sera pas nécessaire. Depuis une trentaine d’années, de nombreuses entreprises s’y sont volontairement prêtées. L’expérience s’appelle Six Sigma, une technique de management par les processus développée par Motorola. Six Sigma permet d’améliorer la qualité des produits en réduisant le nombre d’erreurs commises lors de leur fabrication. Après avoir permis à Motorola de résister à ses concurrents japonais, elle devient rapidement l’objet d’un culte. Jack Welch, le PDG de General Electric, est l’un de ses plus fervents admirateurs. 58 des 200 plus grandes entreprises américaines finissent par l’adopter. Dans un premier temps, leur rentabilité augmente. Au bout de quelques années, elles ne parviennent plus à innover... et leur performance s’en ressent.

L’exemple le plus connu est sans doute celui de 3M. En décembre 2000, James McNerney est nommé PDG de l’entreprise américaine. Dès son arrivée, cet ancien collaborateur de Jack Welch réduit les coûts, licencie plusieurs milliers de salariés et met en place Six Sigma. Les résultats ne se font pas attendre. La rentabilité de l’entreprise s’améliore … mais sa capacité d’innovation décline. Alors que 3M réalisait traditionnellement un tiers de son chiffre d’affaires avec des produits âgés de moins de cinq ans, le ratio passe rapidement sous la barre des 25 %.

Que s’est-il passé ? Si les techniques de management par les processus sont utiles pour les tâches répétitives (comme la production), elles le sont beaucoup moins pour les activités qui demandent de la créativité (comme la R&D). En effet, elles empêchent d’expérimenter alors qu’on ne peut pas innover sans mener d’expérimentations … et donc sans commettre d’erreurs.

Début 2006, George Buckley remplace McNerney. Le nouveau PDG revient immédiatement sur les décisions de son prédécesseur. Il augmente les budgets de R&D et desserre l’emprise de Six Sigma sur les chercheurs. Comme il l’a expliqué : « on ne peut pas utiliser Six Sigma pour la R&D. Cela revient à dire : j’ai pris du retard, je vais donc planifier d’avoir trois bonnes idées mercredi et deux bonnes idées vendredi. La créativité ne fonctionne pas de cette manière. »

Source : Klein, G. (2013), Seeing what others don't: The remarkable ways we gain insights, PublicAffairs.

lundi 11 décembre 2017

Les sciences humaines plutôt que le "big data"




"Ce qui compte ne peut pas toujours être compté… et ce qui peut être compté ne compte pas forcément" (Albert Einstein)

En 2004, LEGO est au bord de la faillite. Jorgen Vig Knudstorp, un ancien consultant de McKinsey, est nommé à la tête de l’entreprise danoise. A l’époque, LEGO ne croit plus beaucoup aux briques qui ont fait son succès. Les résultats de plusieurs études menées en interne ont montré que les enfants n’ont plus de temps à leur consacrer. Pour faire face à cette évolution, l’entreprise danoise s’est diversifiée dans les jeux vidéo … mais sans grand succès.

Dès son arrivée, Knudstorp fait appel à une équipe d’anthropologues. Il leur demande de s’installer dans des familles américaines et allemandes. L’objectif est de mieux comprendre comment et (surtout) pourquoi les enfants jouent. Les anthropologues font deux constatations :
  • les enfants jouent avant tout pour échapper à une vie trop bien orchestrée par leurs parents ;
  • lorsqu’ils jouent, leur plus grande satisfaction est de parvenir à maitriser le jeu. Plus un jeu est difficile à maîtriser, plus ils sont contents lorsqu’ils y parviennent.

Les anthropologues remarquent aussi que les jeux vidéo n’ont pas dissuadé tous les enfants de jouer aux LEGO. Près de la moitié d’entre eux sont prêts à y consacrer beaucoup de temps. L’entreprise danoise décide alors de développer une offre correspondant aux attentes de cette population : des jeux relativement complexes et difficiles à maîtriser. Grâce à ce repositionnement, LEGO effectue un redressement spectaculaire.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ne jurent plus que par le "big data". Elles pensent que ces techniques quantitatives vont leur permettre de mieux comprendre leurs clients. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Les techniques quantitatives permettent de comprendre ce que les gens font … mais pas pourquoi ils le font. Comme l’a dit Einstein : "Ce qui compte ne peut pas toujours être compté… et ce qui peut être compté ne compte pas forcément." Pour comprendre ce que les gens ressentent, rien ne remplace les sciences humaines et une bonne étude qualitative !

Source : Madsbjerg, C., & Rasmussen, M. (2014), The moment of clarity: using the human sciences to solve your toughest business problems, Harvard Business Review Press.