vendredi 22 novembre 2013

Pourquoi faut-il arrêter de raisonner en termes de ROI (et comment l’histoire de Google en aurait été changée) ?




Avant de se lancer dans un nouveau projet, on calcule généralement son retour sur investissement (ROI). Raisonner en termes de « perte acceptable » serait pourtant beaucoup plus judicieux … 

L’histoire de Google
En septembre 1998, Sergey Brin et Larry Page fondent Google. Leur objectif est de valoriser l’algorithme de recherche qu’ils ont développé tout en faisant leur thèse de doctorat à Stanford. Au bout de quelques mois, ils décident de se consacrer entièrement à leur thèse … et donc de vendre leur entreprise. Leur objectif est d’en obtenir un million de dollars. Brin et Page commencent par rencontrer les dirigeants d’Excite (une société aujourd’hui disparue …) qui leur en proposent 750.000 dollars. Ils acceptent cette offre … mais le PDG d’Excite finit par mettre son veto. Ils se tournent alors vers Yahoo … qui n’est pas intéressée du tout. A cette époque, l’algorithme de Google ne s’intègre pas bien dans son « business model », fondé sur le concept du portail de recherche.

Mi-2002, la situation a beaucoup évolué. Les dirigeants de Yahoo proposent à Brin et Page de racheter leur entreprise pour trois milliards de dollars. Ils déclinent la proposition … Plusieurs analystes financiers conseillent alors à Yahoo de relever son offre à cinq milliards de dollars. La réponse de son PDG est sans appel : « Hors de question ! » Deux ans plus tard, Google valait 150 milliards de dollars …

ROI vs. perte acceptable
A-t-on intérêt à se lancer dans un nouveau projet ou vaut-il mieux y renoncer ? Pour prendre cette décision, la plupart des managers calculent son retour sur investissement (ROI). Bien que cette démarche soit très répandue, elle présente une limite importante. Comme il est très difficile de prédire les revenus qu’un projet va générer, le ROI est souvent (toujours ?) faux. La décision qui résulte de son calcul a lors toutes les chances d’être mauvaise … Que faire ?

Nicholas Dew, Saras Sarasvathy, Stuart Read et Robert Wiltbank ont proposé une approche originale. Plutôt que d’estimer ce que l’on espère gagner si un projet réussit, ils proposent d’estimer ce que l’on est prêt à perdre si ce projet échoue. Le raisonnement en termes de « perte acceptable » (« affordable loss ») est utilisé par les entrepreneurs qui s’interrogent sur l’opportunité de créer leur propre entreprise (« the plunge decision »). Toutefois, son intérêt est loin d’être limité à cette décision.

En effet, il présente trois avantages par rapport au raisonnement en termes de ROI :
  • il est plus simple (car il ne nécessite pas d’estimer les futurs revenus …) ;
  • il est plus fiable (car l’estimation des revenus futurs est souvent fausse …) ;
  • il permet de ne pas écarter trop rapidement les projets les plus novateurs … pour lesquels il est parfois impossible d’estimer les revenus futurs.

Retour sur l’histoire de Google
Comme on l’a vu, les dirigeants d’Excite (en 1999) et de Yahoo (en 1999 et 2002) ont refusé d’investir dans Google. Peut-on vraiment leur reprocher d’avoir été incapables de prédire le succès phénoménal de cette entreprise ? Pas forcément … car ses fondateurs n’ont pas fait mieux. Sinon, pourquoi Brin et Page se seraient-ils contentés de 750.000 dollars en 1999 pour une entreprise qui vaudrait 150 milliards de dollars cinq ans plus tard ?

En revanche, si Excite et Yahoo avaient raisonné en termes de perte acceptable (« combien sommes-nous prêts à perdre si ce projet est un échec ? ») plutôt que de ROI (« combien pensons-nous gagner si ce projet est un succès ? »), ils auraient sans doute misé sur Google … et l’histoire en aurait été changée.

vendredi 8 novembre 2013

Comment savoir si une nouvelle technique de management est une mode passagère ou un (futur) classique ?



Les managers sont constamment bombardés d’idées nouvelles censées améliorer le fonctionnement des entreprises. Comment distinguer les modes passagères des (futurs) classiques du management ?

Mode passagère vs. classique du management
Qu’est-ce qu’une mode managériale ? Il s’agit d’une technique de management qui devient rapidement populaire, qui le reste pendant quelques années … et qui disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Pourquoi ? Parce que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances !

Pour aider les managers à identifier les modes managériales (et à éviter d’y succomber …), Danny Miller, Jon Hartwick et Isabelle Le Breton-Miller ont analysé le cycle de vie d’une douzaine de techniques de management entre 1985 et le début des années 2000. Ils ont alors constaté que huit critères permettent de prédire si une idée nouvelle deviendra un classique du management (comme la décentralisation, la gestion de la chaîne logistique ou l’externalisation…) ou si elle restera une mode passagère (comme la réingénierie, la qualité totale ou le management « à la japonaise »).

Huit critères pour distinguer les modes passagères des (futurs) classiques du management
Contrairement aux classiques du management, les modes passagères ont tendance à :
  • reposer sur des idées très (trop ?) simples ;
  • faire des promesses exagérées ;
  • se présenter comme universelles ;
  • pouvoir être mises en œuvre de manière superficielle ;
  • bien capter l’air du temps ;
  • se contenter de remettre des idées anciennes au goût du jour ;
  • être illustrées par des « cas d’école » et légimitées par des gourous ;
  • avoir un message fondamentalement optimiste.

Notons que ces critères s’appliquent également aux classiques du management … mais dans une moindre mesure. En moyenne, les résultats de l’étude suggèrent que les modes passagères remplissent six critères … contre deux critères pour les classiques du management. Il faut donc surtout se méfier des techniques de management qui remplissent la quasi-totalité des critères !

Le paradoxe des modes managériales
Les modes managériales présentent un paradoxe intéressant : les critères qui expliquent leur essor rapide sont également ceux qui expliquent leur disparition tout aussi rapide ! Comme elles promettent un succès rapide, elles sont très attirantes (voire irrésistibles …) pour les entreprises. Comme elles ne tiennent pas leurs promesses, elles sont rapidement abandonnées …

Les classiques du management sont beaucoup plus susceptibles d’améliorer la performance des entreprises sur le long terme. Contrairement aux modes managériales, ils ne peuvent pas être appliqués de manière indifférenciée à toutes les entreprises. Leur mise en œuvre comporte également des embûches. Par exemple, une opération d’externalisation peut être très bénéfique pour une entreprise … mais néfaste pour une autre. Gérer un fournisseur ou un prestataire demande également une véritable expertise.

En résumé, il faut toujours se méfier de ce qui est trop beau pour être vrai. Les techniques de management ne font pas exception à cette règle … Management 2.0, big data, crowdsourcing … Modes passagères ou (futurs) classiques du management ?