jeudi 18 février 2016

Qu’est-ce qu’un bon dirigeant ?



Comme l’illustre l’histoire du retour de Steve Jobs chez Apple, un vrai stratège utilise toujours la même démarche en trois étapes.

Le retour de Steve Jobs chez Apple
En septembre 1997, Apple est à deux mois de la faillite. Steve Jobs accepte de redevenir PDG par interim (iCEO …) de l’entreprise qu’il a cofondée en 1976. Alors que la plupart des gens s’attendent à ce qu’il annonce une « vision » ambitieuse pour Apple, il adopte une approche totalement différente.

Tout d’abord, il parvient à convaincre Microsoft (en proie à un procès pour abus de position dominante …) d’investir 150 millions de $ dans Apple. Puis, il nettoie le portefeuille de produits. Il supprime quatorze des quinze modèles d’ordinateurs commercialisés à l’époque ainsi que la totalité des imprimantes et autres périphériques. Il externalise la production et réduit le nombre de distributeurs de six à un !

Mi-1998, Apple est redevenue rentable. Avec 4% de part de marché, le constructeur informatique reste cependant un acteur de niche dans un secteur très concurrentiel. Richard Rumelt aborde ce sujet avec Steve Jobs. Il lui pose notamment la question suivante : “Steve, ce que vous avez fait chez Apple est impressionnant. Mais vous ne pourrez jamais être autre chose qu’un acteur de niche dans le marché des PC. Qu’allez-vous faire maintenant ? Quelle est votre stratégie ? » Steve Jobs aurait alors souri et répondu : « I am going to wait for the next big thing. » Après avoir attendu que les conditions soient réunies, il lançait l’iPod et iTunes ...

Penser et agir en stratège : une démarche en trois étapes …
Comme l’a rappelé Richard Rumelt, penser et agir en stratège comporte trois étapes :
  • un diagnostic : l’identification des problèmes à traiter ;
  • une orientation générale : la définition d’une approche permettant de régler les problèmes identifiés lors du diagnostic ;
  • des actions cohérentes : la mise en œuvre de l’orientation générale.
En 1997, Apple est au bord de la faillite (diagnostic). La première décision prise par Steve Jobs consiste à redimensionner l’entreprise pour lui permettre de survivre (orientation générale). La réduction du nombre de modèles d’ordinateurs et de périphériques, l’externalisation de la production et la consolidation de la distribution doivent permettre d’atteindre cet objectif (actions cohérentes). A première vue, toutes ces décisions peuvent s’apparenter à du « cost cutting » … mais elles étaient nécessaires pour sauver l’entreprise.

Quelques années plus tard, Apple est sauvée. Comme l’entreprise ne peut plus se développer sur le marché des PC (diagnostic), Steve Jobs cherche de nouvelles opportunités en dehors de ce secteur d’activité. Sa réflexion se cristallise autour du concept de « plateforme numérique » (« digital hub ») (orientation générale). Il attend jusqu’à ce que toutes les conditions soient réunies pour lancer l’iPod et iTunes (actions cohérentes).

… qui n’a rien de révolutionnaire
La démarche adoptée par Steve Jobs n’a rien de révolutionnaire. Elle nécessite pourtant de faire preuve de lucidité dans le diagnostic, de créativité dans la détermination de l’orientation générale et de volonté dans la mise en œuvre des actions cohérentes.

Souvent, les dirigeants se voilent la face au moment du diagnostic. Ils se contentent d’imiter l’orientation générale de leurs concurrents et se désintéressent de la mise en œuvre. Il ne faut alors pas s’étonner de ce que les résultats ne soient pas au rendez-vous !

lundi 8 février 2016

Faire des analogies pour penser une stratégie




Les analogies sont particulièrement utiles pour identifier de nouvelles opportunités ... mais aussi pour convaincre les autres de leur intérêt.

Les entreprises doivent en permanence trouver de nouvelles opportunités de développement. Comme l’a remarqué Giovanni Gavetti, les opportunités les plus intéressantes sont aussi les plus difficiles à identifier. Pour repérer ces opportunités « cognitivement distantes », il propose de raisonner par analogie.

A la fin des années 1930 par exemple, Charlie Merrill a révolutionné le secteur bancaire américain en faisant une analogie entre les banques et les supermarchés. Alors que ses concurrents s’intéressaient quasi-exclusivement aux Américains les plus riches, il a développé une large gamme de services financiers pour la classe moyenne. Le succès des « supermarchés de la finance » a été immédiat.

Mais l’utilité des analogies ne se limite pas à l’identification de nouvelles opportunités. Après avoir identifié une nouvelle opportunité, un dirigeant doit convaincre le reste de l’entreprise de son intérêt. Ici aussi, les analogies peuvent être utiles. Lorsque Federico Minoli a pris la tête de Ducati au milieu des années 1990, l’entreprise était dominée par les ingénieurs. Pour convaincre le personnel du constructeur de motos italien qu’il fallait vendre du rêve plutôt que de la performance, Minoli a souvent fait une analogie avec Disney.

Enfin, il ne suffit pas d’identifier et d’exploiter une nouvelle opportunité. Il faut aussi faut convaincre le « reste du monde » de son intérêt. Là encore, les analogies sont très efficaces. Lors des débuts de l’Internet, deux business models s’opposaient. Lycos ou Infoseek, par exemple, se définissaient comme des entreprises « high tech ». De son côté, Yahoo se définissait comme une entreprise de médias. Dans un premier temps, l’analogie avec les médias a semblé plus convaincante à la presse et aux marchés financiers.

Pour identifier de nouvelles opportunités, rien ne vaut donc une bonne analogie. Mais l’intérêt des analogies ne se limite pas à l’identification des opportunités. Elles facilitent aussi leur exploitation et leur légitimation.

Sources :
Gavetti, G. (2012), “Perspective - Toward a behavioral theory of strategy”, Organization Science, 23(1), 267-285.
Gavetti, G. (2011), “The new psychology of strategic leadership”, Harvard Business Review, July-August, 118-125.