vendredi 18 janvier 2013

Pourquoi est-il moins coûteux de plus payer ses employés ?




On pense souvent que les entreprises qui paient le moins leurs employés bénéficient d’un avantage en termes de coût. Paradoxalement, c’est peut-être le contraire …

Aux Etats-Unis, la chaîne de distribution Wal-Mart (et son enseigne « low cost » Sam’s Club) est connue pour ses prix bas. Sa stratégie s’appuie notamment sur le versement de salaires peu élevés. Les avantages tels que l’assurance santé sont également réduits à la portion congrue. Costco, une entreprise au positionnement similaire, a opté pour une politique beaucoup plus généreuse vis-à-vis de ses employés. Une étude réalisée par Wayne Cascio montre qu’elle s’avère finalement moins coûteuse que celle de Sam’s Club …

Moins payer ses employés : une approche qui semble avantageuse …
En 2005, les 67.600 employés de Costco gagnaient 40% de plus que 110.200 employés de Sam’s Club : le salaire annuel moyen se montait à 35.360 dollars chez Costco contre 21.028 dollars chez Sam’s Club. Par ailleurs, 82% des salariés de Costco bénéficiaient d’une assurance santé contre moins de la moitié chez Sam’s Club. A première vue, la générosité de Costco ne semblait pas être une preuve de bonne gestion. Elle était d’ailleurs moyennement appréciée par certains analystes financiers. D’après l’un d’entre eux : « Chez Costco, mieux vaut être employé que client ou actionnaire … » Pour un autre : « Du point de vue des investisseurs, la politique RH de Costo est trop généreuse. Les entreprises cotées doivent avant tout travailler dans l’intérêt des actionnaires. Costco est gérée comme une entreprise non cotée » (!)

… mais qui ne l’est pas forcément

Toutefois (et contrairement à ce que pensaient ces analystes), mieux payer ses employés ne présente pas que des désavantages. Tout d’abord, le turnover chez Costco n’était que de 17% par an contre 44% par an chez Sam’s Club (la moyenne dans le secteur de la grande distribution aux Etats-Unis). On estime généralement que les coûts induits par le remplacement d’un salarié se montent à 60% de son salaire annuel au minimum. Au total, le coût annuel du turnover s’élève donc à 244 millions de dollars chez Costco (35.360 * 0,60 * 0,17 * 67.600) contre 612 millions de dollars chez Sam’s Club (21.028 * 0,60 * 0,44 * 110.200). Si Costco avait le même taux de turnover que Sam’s Club, il lui coûterait 631 millions de dollars par an (35.360 * 0,60 * 0,44 * 67.600). La politique salariale plus généreuse de Costco lui permet donc d’économiser 387 millions de dollars chaque année (631 – 244 !).

A la plus grande fidélité des employés de Costco, il faut ajouter leur plus grande productivité. En 2005, les 110.200 employés de Sam’s Club ont généré 37 milliards de dollars de CA contre 43 milliards de dollars pour les 67.600 employés de Costco. On aboutit alors à un paradoxe intéressant. Alors que Costco verse des salaires 40% plus élevés que ceux de Sam’s Club, le coût de la main d’œuvre ne représente que 5,56% de son CA ((67.600 * 35.360) / 43 milliards) contre 6,26% chez Sam’s Club ((110.200 * 21.028) / 37 milliards).

En résumé, moins payer ses employés ne permet pas forcément de réduire les coûts. Une entreprise qui offre des salaires plus élevés accroît la fidélité et la productivité de ses employés … ce qui compenser largement ce surcoût. Pour le PDG de Costco, les choses sont claires : « Si nous payons mieux nos employés que Wal-Mart, ce n’est pas par altruisme. C’est juste parce que c’est meilleur pour le business … »

vendredi 11 janvier 2013

Pourquoi faut-il une bonne dose d’incompétence pour être un (très) bon expert ?



On est souvent admiratif devant les experts qui sont capables de prévoir les événements les plus improbables. On ne devrait pourtant pas l’être autant … car cela nécessite avant tout une bonne dose d’incompétence …

Les experts sont souvent évalués sur la qualité de leurs prévisions. A première vue, on peut penser que les experts qui sont capables de prédire les événements les plus improbables sont également les plus compétents. Paradoxalement, ce n’est pas le cas. Comme l’ont montré Jerker Denrell et Christina Fang, c’est généralement l’apanage des experts les moins compétents …

Comment expliquer ce paradoxe ? Les événements les plus extrêmes sont également les plus rares. Les experts qui prennent en compte l’ensemble des informations disponibles ont du mal à les anticiper car ils font des prévisions « raisonnables ». En revanche, les experts qui se fient avant tout à leur intuition n’hésitent pas à faire des prévisions beaucoup plus audacieuses. La plupart du temps, ces prévisions sont fausses. De temps en temps, elles sont exactes … et on aboutit au paradoxe que les événements les plus improbables ont plus de chances d’être prédits par les experts qui manquent le plus de capacité de jugement …

Le cas des économistes

Tous les six mois, le Wall Street Journal demande à cinquante économistes de prédire l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs macro-économiques (PIB, inflation, chômage …). Cette étude est publiée deux fois par an (en janvier et en juillet). Dans leur étude, Denrell et Fang ont commencé par mesurer la qualité des prévisions faites par les économistes. Concrètement, ils ont calculé l’écart moyen entre ces prévisions et la réalité. Ils ont alors constaté que les économistes qui font les moins bonnes prédictions en moyenne ont également tendance à faire les prévisions les plus extrêmes. Dans la plupart des cas, ils sont « à côté de la plaque ». Mais dans certains cas, ils sont les seuls à avoir anticipé des événements que les autres n’avaient pas su prédire.

Cette démarche peut être illustrée par le cas d’un certain Sung Won Sohn. Il a été récompensé par le prix du meilleur économiste le semestre où il a prédit une hausse forte de l’inflation alors que la plupart de ses collègues avaient prédit une baisse. Comment avait-il abouti à cette conclusion ? C’est très simple. Un fabricant de jeans californien lui avait expliqué qu’il ne parvenait pas à satisfaire la demande de jeans « haut de gamme ». Il en avait conclu qu’il « devait y avoir pas mal d’argent en circulation » … et que l’inflation n’allait pas tarder à augmenter. Bien évidemment, cette approche intuitive ne fonctionne pas à tous les coups. Les deux semestres précédents, Sung Won Sohn avait été classé 43ème et 49ème sur 50.

Le cas des experts en sciences politiques
Des résultats similaires ont été observés dans les sciences politiques. Par exemple, Philip Tetlock a montré que les experts les plus marqués idéologiquement sont (parfois) capables de prédire des événements totalement improbables. Ce sont notamment les seuls à avoir anticipé la guerre en ex-Yougoslavie. En revanche, la plupart de leurs autres prévisions ne se sont jamais matérialisées. Par exemple, la guerre entre la Hongrie et la Roumanie n’a toujours pas eu lieu. La Russie n’a toujours pas envahi les pays baltiques …

En résumé, un « bon » expert doit être capable de faire de bonnes prévisions … mais on ne peut pas attendre de lui qu’il prédise des événements totalement improbables. Cela reste la prérogative des « mauvais » experts !

vendredi 4 janvier 2013

Pourquoi les entreprises qui ont connu le succès finissent-elles (presque toujours) par connaître l’échec ?



De nombreuses entreprises qui ont connu le succès finissent par connaître l’échec. On attribue souvent ce phénomène à l’incompétence de leurs dirigeants. Grisés par le succès, ils refuseraient de voir que leur environnement a changé. La réalité est un peu plus complexe …

Comme l’a montré Donald Sull, il faut prendre un certain nombre d’engagements pour connaître le succès. Ces engagements sont difficilement réversibles. Ce n’est pas un problème lorsque l’environnement est relativement stable. En revanche, cela peut se révéler catastrophique lorsque l’environnement change … et que les forces initiales se sont transformées en faiblesses. Paradoxalement, c’est souvent ce qui a permis à une entreprise de connaître le succès qui finit par la mener à l’échec.

Les orientations stratégiques deviennent des œillères
Pour une entreprise, il est crucial d’avoir des orientations stratégiques claires. Toutefois, elles peuvent devenir des œillères …. et empêcher les dirigeants de percevoir l’évolution de leur environnement. Par exemple, les dirigeants de l’entreprise anglaise Laura Ashley ont longtemps attribué le déclin de leur chiffre d’affaires à une mauvaise conjoncture. Lorsqu’ils ont fini par comprendre que leur stratégie axée sur les vêtements « classiques » n’était plus en phase avec les attentes du marché, il était déjà trop tard …

Les processus deviennent une obsession
De bons processus permettent à une entreprise d’être plus efficiente que ses concurrents. Toutefois, ils ne doivent pas se transformer en obsession. McDonald’s a rencontré ce problème dans les années 1990. A force de se focaliser sur l’optimisation du fonctionnement des restaurants (« condensée » dans un manuel de 750 pages !), les dirigeants de McDonald’s ont fini par oublier que les goûts des clients avaient évolué. Ils voulaient notamment plus de choix et des aliments plus sains, une tendance que des concurrents comme Taco Bell ou Burger King avaient (un peu …) mieux prise en compte.

Les ressources deviennent des fardeaux
Il est impossible pour une entreprise de connaître le succès si elle ne possède pas des ressources qu’elle est la seule à posséder. Lorsque l’environnement change, ces ressources peuvent cependant devenir des fardeaux. On reproche souvent aux compagnies aériennes « traditionnelles » leur impuissance face aux compagnies aériennes « low cost ». Paradoxalement, cette impuissance doit beaucoup aux ressources qui leur ont permis de connaître le succès (comme la maîtrise du système des « hubs »). Aujourd’hui, elles sont devenues des fardeaux dans leur combat contre les compagnies aériennes « low cost » adeptes du « point to point ».

Les relations deviennent des entraves
Il est crucial pour une entreprise de nouer des relations étroites avec ses employés, ses clients, ses fournisseurs … Lorsque l’environnement change, ces relations peuvent malheureusement se transformer en entraves et réduire leur capacité d’adaptation. Les distributeurs ont longtemps été un partenaire privilégié de constructeurs informatiques comme IBM, Compaq ou Hewlett-Packard. Lorsque Dell a connu un succès considérable avec la vente directe, ils ont eu toutes les peines du monde à réagir … car cela impliquait de s’aliéner les distributeurs.

Les valeurs deviennent des dogmes
Une entreprise ne peut pas connaître un grand succès sans valeurs fortes. Toutefois, ces valeurs peuvent également se transformer en dogmes … et finir par la paralyser. Par exemple, l’innovation a toujours été une valeur dominante chez Polaroid. Si elle lui a longtemps permis de connaître le succès, elle s’est progressivement transformée en un rejet quasi-dogmatique de la finance et du marketing. On ne sera donc pas surpris que l’histoire de Polaroid se soit mal terminée …

En résumé, on ne peut pas répondre aux problèmes d’aujourd’hui avec des solutions d’hier. Des changements beaucoup plus profonds sont souvent nécessaires pour faire face à un environnement qui a évolué.