vendredi 28 mars 2014

Pourquoi est-il aussi difficile de mettre fin à un projet que l’on sait pourtant condamné ?



Les entreprises éprouvent souvent les plus grandes difficultés à arrêter des projets qui ne tiennent pas leurs promesses. Comment expliquer ce comportement surprenant ?

L’histoire d’Iridium
Le système de téléphonie satellitaire Iridium a été développé par Motorola dans les années 1990. Dès le début, le projet bénéficie du soutien de Robert Galvin, le PDG de l’entreprise. Pour lui et son successeur (son fils Chris …), il incarne l’excellence technologique de Motorola. Il est donc impératif qu’il soit couronné de succès !

Le nouveau service de téléphonie est inauguré en novembre 1998. C’est un échec complet. Six mois après son lancement, le nombre d’abonnés ne dépasse pas 10.000 … Iridium dépose le bilan en août 1999, incapable de rembourser un emprunt de 1,5 milliard de dollars. C’est l’une des faillites les plus retentissantes de l’histoire des Etats-Unis.

Un échec prévisible
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’échec d’Iridium était tout à fait prévisible. Pendant les dix années nécessaires à sa mise au point, les nuages se sont peu à peu amoncelés :
  • avec le développement du réseau cellulaire terrestre, la téléphonie satellitaire a progressivement perdu son intérêt pour les clients potentiels (les voyageurs d’affaires en déplacement dans les zones non couvertes par la téléphonie mobile) ;
  • le prix du service était trop élevé. L’appareil téléphonique coûtait 3.000 dollars et chaque minute de communication était facturée entre 3 et 8 dollars ;
  • la technologie utilisée s’est rapidement avérée trop contraignante pour les utilisateurs. L’appareil téléphonique était laid et imposant. Comme son antenne devait être parfaitement alignée avec l’un des satellites, il était impossible de téléphoner à l’intérieur d’un bâtiment ou dans une voiture.

L’escalade de l’engagement
Comme l’ont montré Sidney Finkelstein et Shade Sanford, l’histoire d’Iridium illustre un phénomène appelé « escalade de l’engagement ».

Les dirigeants de Motorola ont refusé de mettre fin à un projet qui perdait peu à peu de son intérêt pour trois raisons :
  • ils avaient déjà investi des ressources considérables dans le projet. Tous ces investissements auraient été perdus en cas d’arrêt prématuré ; 
  • ils avaient soutenu le projet dès son origine … souvent contre le reste de l’entreprise. Il leur était donc difficile de se déjuger ;
  • ils étaient persuadés que le projet finirait par connaître le succès. Ils pensaient notamment qu’une technologie innovante finit toujours par s’imposer.

Aujourd’hui, Iridium existe toujours. Peu de temps après sa faillite, le système de téléphonie satellitaire a été racheté par un groupe d’investisseurs. Alors que sa mise au point avait coûté près de 6 milliards de dollars, les nouveaux propriétaires ont déboursé 25 millions de dollars pour en faire l’acquisition … La société est cotée au NASDAQ et son principal client est l’armée américaine …

vendredi 14 mars 2014

Quelle est l’influence des « middle managers » sur la performance des entreprises ?



Les « middle managers » (un terme que l’on pourrait traduire par « cadre moyen » …) sont parfois dénigrés. Pourtant, une étude récente montre qu’ils ont une influence décisive sur la performance des entreprises.

Les déterminants de la performance des entreprises

On pense souvent que la performance d’une entreprise dépend avant tout de ses caractéristiques (ressources, compétences, organisation …) et du talent de ses dirigeants. Si la plupart des études ont confirmé que les caractéristiques des entreprises influencent leur performance, l’impact des dirigeants semble plus limité.

Par exemple, une étude réalisée par Marianne Bertrand et Antoinette Schoar sur les entreprises du classement Forbes 800 a montré que l’influence combinée du PDG, du directeur financier et tous les autres « top managers » explique moins de 5% de la variance dans la performance d’une entreprise

On pouvait alors s’attendre à ce que l’impact des « middle managers » soit encore plus limité que celui des « top managers ». Comme vient de le montrer une étude d’Ethan Mollick, il n’en est rien ...

Une étude dans les jeux vidéo
Dans le domaine des jeux vidéo, les « middle managers » bénéficient du titre ronflant de « producteur ». En fait, ce sont les chefs de projet chargé d’encadrer les « créatifs » (ou « designers »). Quelle est l’influence des « middle managers », des « créatifs » et des caractéristiques des entreprises pour qui ils travaillent sur la performance ?

Les résultats de l’étude (854 jeux vidéo auxquels ont travaillé 537 producteurs et 739 designers dans 395 entreprises différentes) sont très instructifs. Les producteurs expliquent 22,3 % de la variance dans la performance (mesurée par le chiffre d’affaires réalisé par les jeux vidéo) contre 7,4% pour les designers et 21,3 % pour les caractéristiques des entreprises. Le reste (49% …) dépend de facteurs extérieurs comme l’intensité de la concurrence … ou la chance.

Quels enseignements ?

Dans un secteur comme celui des jeux vidéo, on pourrait penser que les « créatifs » ont beaucoup plus d’influence sur la performance que les « middle managers ». Les résultats de l’étude montrent que ce n’est pas le cas. La capacité des managers à coordonner le travail des « créatifs » joue un rôle beaucoup plus important.

On pourrait également penser que les caractéristiques des entreprises ont plus d’influence sur la performance que les individus. Ce n’est pas non plus le cas. L’impact cumulé des « middle managers » et des « créatifs » (43,6%) dépasse très largement celui des ressources et compétences des entreprises (7,4%).

En bref, il est temps de réhabiliter les « middle managers ». Si leur influence sur la performance est aussi marquée dans un secteur comme les jeux vidéo, elle doit l’être encore plus dans des secteurs où la créativité joue un rôle moins important.

mercredi 5 mars 2014

Pourquoi la plupart des entreprises n’ont-elles pas de stratégie ?



Contrairement à ce que l’on pourrait penser, de nombreuses entreprises n’ont pas de stratégie. Comment expliquer ce phénomène surprenant ?

L’absence de stratégie
Qu’est-ce que la stratégie ? Même s’il n’y a pas de consensus à ce sujet, on la définit souvent comme un ensemble de choix. Une entreprise ne peut pas tout faire. Il lui faut donc répondre à des questions telles que : sur quels marchés voulons-nous être présents ? A quels clients voulons-nous nous adresser en priorité ? Quels produits ou services voulons-nous leur proposer ? Comment voulons-nous nous positionner par rapport à nos concurrents ?

Pourtant, la plupart des dirigeants se refusent à faire ces choix. Lorsqu’on les interroge sur leur stratégie, ils mettent en avant des objectifs (comme « devenir un acteur de référence de notre secteur » …) ou ils se contentent de formaliser sous le nom de « stratégie » ce que l’entreprise fait depuis des années. Pourquoi cette réticence à faire des choix ?

Le paradoxe de la stratégie
La réponse à cette question réside sans doute dans le « paradoxe de la stratégie » identifié par Michael Raynor. Les choix – nécessaires pour connaître le succès – doivent être faits dans un contexte d’incertitude. Ils impliquent donc une prise de risques. Une entreprise qui refuse de faire ces choix a peu de chances de connaître un succès éclatant. En revanche, elle minimise également ses chances de connaître un échec cuisant !

En d’autres termes, les entreprises les plus performantes ont souvent un point commun avec celles qui connaissent une faillite retentissante : elles ont une stratégie ! Dans le premier cas, les choix qu’elles ont faits se sont révélés être les « bons ». Dans le second cas, ils se sont avérés être « mauvais ». En revanche, les entreprises qui parviennent tout juste à survivre ont rarement une stratégie …

L’exemple d’Apple
L’histoire d’Apple illustre bien les avantages et les inconvénients de la stratégie. Depuis les origines, cette entreprise met l’accent sur l’innovation, la facilité d’utilisation et le design. Cette stratégie lui permet actuellement de connaître un succès considérable avec des produits comme l’iPod, l’iPhone et l’iPad. Elle explique également le succès de produits plus anciens comme l’Apple II ou le Macintosh.

Toutefois, Apple a également connu des échecs. Des produits comme l’ordinateur Lisa ou l’assistant personnel Newton ont été des « flops » complets … alors qu’ils reposaient sur la même stratégie d’innovation que ses plus grands succès ! Pour une entreprise qui a une « véritable » stratégie comme Apple, il n’y a parfois pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne.

En conclusion, avoir une stratégie accroît les chances de connaître le succès … mais également de connaître l’échec. Ne pas avoir de stratégie est le moyen le plus sûr d’aboutir à un résultat médiocre … mais cela permet d’éviter les catastrophes. De manière implicite, c’est le « choix » que font de nombreux dirigeants.