vendredi 26 avril 2013

Une entreprise doit-elle choisir entre la qualité et le prix pour connaître le succès ?



On pense souvent qu’une entreprise a plus de chances de connaître le succès lorsqu’elle opte pour une stratégie « pure » fondée sur la qualité ou le prix. Mais est-ce réellement le cas ?

Une supériorité apparente des stratégies « pures » …
D’après Michael Porter, le célèbre professeur de Harvard, il existe deux stratégies « pures » : la stratégie de domination par les coûts et la stratégie de différenciation de l’offre. La stratégie de domination par les coûts consiste à proposer un produit ou un service à un prix inférieur à celui de ses concurrents. La stratégie de différenciation de l’offre consiste à proposer un meilleur produit ou service que celui de ses concurrents (et à le vendre plus cher !). Une entreprise qui ne choisit pas l’une de des stratégies se retrouve « enlisée dans la voie médiane ». Elle a peu de chances d’être très rentable pour trois raisons :
  • elle est très vulnérable aux attaques des concurrents qui utilisent les stratégies « pures ». En effet, ses produits sont plus chers que ceux des entreprises qui utilisent une stratégie de domination par les coûts … et moins valorisés par les clients que ceux des entreprises qui utilisent une stratégie de différenciation de l’offre ;
  • l’enlisement dans la voie médiane est plus répandu que la stratégie de domination par les coûts et la stratégie de différenciation de l’offre. La concurrence entre les entreprises qui sont dans cette situation est donc plus forte que celle qui oppose les entreprises qui ont opté pour une stratégie « pure » ;
  • la stratégie de domination par les coûts et la stratégie de différenciation de l’offre nécessitent la mise en place d’une organisation totalement différente. Elles sont donc difficilement compatibles au sein de la même entreprise.

Les résultats d’une étude menée par Stewart Thornhill et Roderick White sur 2.351 entreprises canadiennes ont récemment confirmé que les stratégies « pures » génèrent une meilleure rentabilité (en termes de marge opérationnelle) que l’enlisement dans la voie médiane. Ils ont également montré que la meilleure stratégie « pure » varie selon les secteurs. Dans le BTP par exemple, les donneurs d’ordre les plus performants utilisent une stratégie de différenciation de l’offre alors que les sous-traitants les plus performants utilisent une stratégie de domination par les coûts. Dans les services, la stratégie de domination par les coûts domine toutes les autres stratégies.

… qui masque une plus grande prise de risques
Ces résultats ne sont pas franchement surprenants … mais ils soulèvent une question fondamentale. Pourquoi l’enlisement dans la voie médiane est-il aussi fréquent alors qu’il condamne les entreprises à une rentabilité plus faible que les stratégies « pures » ? Dans une étude complémentaire (non publiée pour le moment …), Stewart Thornhill, Roderick Whitehill et Michael Raynor ont fait une découverte assez surprenante : si les entreprises qui optent pour les stratégies « pures » sont plus rentables, elles sont également plus susceptibles de faire faillite que les entreprises enlisées dans la voie médiane …

Ce paradoxe s’explique de la manière suivante. Lorsque les clients deviennent plus sensibles aux prix, ils se détournent avant tout des entreprises qui ont opté pour une stratégie de différenciation de l’offre. Lorsque les clients deviennent plus sensibles à l’offre différenciée (et plus chère …), ils se détournent avant tout des entreprises qui ont opté pour une stratégie de domination par les coûts. Dans les deux cas, les entreprises enlisées dans la voie médiane souffrent moins que celles qui ont adopté les stratégies « pures » …

En bref, les entreprises ont le choix entre des stratégies « pures » plus rentables mais plus risquées … et un enlisement dans la voie médiane moins rentable mais plus sûr. Elles peuvent donc préférer assurer leur survie plutôt que de chercher à atteindre un niveau de rentabilité élevé (avec tous les risques que cela comporte …).

samedi 13 avril 2013

Pourquoi les entreprises ont-elles autant tendance à imiter leurs concurrents ? Est-ce vraiment une bonne idée ?



Lorsque les dirigeants prennent des décisions, ils ont souvent tendance à s’inspirer de leurs concurrents ? Pourquoi sont-ils aussi influençables ? Cette influence est-elle toujours bénéfique ?

Comme l’a dit Mark Twain : « Dans le domaine de l’imitation, l’homme est très supérieur au singe. Il n’a pas d’opinion propre. Il ne cherche pas à en avoir une … Tout ce qui l’intéresse, c’est de connaître l’opinion de son voisin et de l’adopter. » On ne sera donc pas surpris d’apprendre que l’imitation est un phénomène particulièrement répandu parmi les entreprises. Les recherches de Marvin Lieberman et Shigeru Asaba suggèrent qu’elles ont tendance à imiter leurs concurrents pour deux raisons.

La croyance que les concurrents en savent plus qu’elles
De nombreuses entreprises imitent leurs concurrents parce qu’elles pensent qu’ils en savent plus qu’elles. Supposons qu’un concurrent ait décidé de lancer un nouveau produit ou de s’implanter dans un nouveau pays. On en conclut alors fréquemment que cette décision a été motivée par une analyse approfondie … et on lui emboîte le pas. Cette démarche est parfois bénéfique … mais pas toujours.

L’incertitude de l’environnement joue un rôle crucial à ce niveau. Plus l’environnement est incertain, plus les entreprises sont dans le flou … et plus elles ont tendance à penser que leurs concurrents en savent plus qu’elles. Le problème est que ce n’est pas forcément le cas … Au début des années 2000 par exemple, Vivendi a racheté Seagram, le conglomérat propriétaire d’Universal. Le raisonnement tenu par les dirigeants de Vivendi était que la diffusion des contenus d’Universal par les réseaux de Vivendi générerait des synergies importantes. Cette stratégie s’inspirait ouvertement de l’exemple de la fusion entre AOL et Time Warner qui avait eu lieu quelques mois auparavant. Malheureusement, la stratégie de « convergence médiatique » mise au point par AOL ne s’est pas avérée viable … et les deux fusions ont été des échecs complets.

La volonté de réduire les risques

Les entreprises imitent aussi leurs concurrents parce qu’elles pensent que cela permet de réduire les risques. Pour un dirigeant, une seule chose est pire que de prendre une mauvaise décision : être le seul dans ce cas. Il est donc beaucoup moins risqué d’imiter un concurrent que de cultiver sa singularité. L’imitation permet également de maintenir le statu quo. Si le concurrent qu’on imite a pris une « bonne » décision (en s’implantant par exemple dans le « bon » pays ou en lançant le « bon » produit »), on ne sera pas distancé. Si le concurrent a pris une « mauvaise » décision, on pourra toujours argumenter qu’on n’est pas le seul à avoir subi un échec.

Ce raisonnement comporte cependant une limite importante. Plus les entreprises s’imitent, plus elles ont tendance à se ressembler … et plus la concurrence est exacerbée. Si l’imitation réduit les risques, elle réduit également la probabilité d’atteindre un niveau de performance très élevé.

En bref, l’imitation n’est pas une recette miracle. Lorsque l’environnement est incertain, il vaut mieux éviter d’imiter des concurrents qui n’en savent pas forcément beaucoup plus que nous. Surtout, l’imitation condamne quasiment à une performance moyenne parce qu’elle ne permet pas de se différencier de ses concurrents (par définition !).

mercredi 3 avril 2013

Pourquoi est-il parfois plus bénéfique pour une entreprise (et notamment pour un constructeur automobile) d’avoir une mauvaise réputation ?



Pour une entreprise, avoir une bonne réputation présente de nombreux avantages. Mais que se passe-t-il lorsqu’elle déçoit les attentes de ses clients ? Se montrent-ils plus ou moins indulgents qu’avec les entreprises dont la réputation est moins flatteuse ? Qu’en est-il pour les constructeurs automobiles ?

A première vue, il semble toujours bénéfique pour une entreprise d’avoir une bonne réputation. Cela lui permet par exemple d’attirer un plus grand nombre de clients et de pratiquer des prix plus élevés que ceux de ses concurrents. Pourtant, il arrive qu’une entreprise jouissant d’une bonne réputation déçoive ses clients. Dans l’industrie automobile, cette situation se produit lorsqu’elle rappelle des véhicules. Comment le marché a-t-il alors tendance à réagir ?

Pour répondre à cette question, Mooweon Rhee et Pamela Haunschild ont étudié les rappels effectués par tous les constructeurs automobiles présents aux Etats-Unis entre 1975 et 1999. Très précisément, l’étude porte sur les marques (par exemple Buick ou Lexus …) et non sur les constructeurs (par exemple GM ou Toyota …). Sur cette période, les 46 constructeurs ont effectué 1.853 rappels (soit une moyenne de 2,26 rappels par constructeur et par année). La réputation des constructeurs a été mesurée à l’aide d’indicateurs de qualité fournis par Consumer Reports et J.D. Power. A la fin de la période étudiée, Lexus, BMW et Acura étaient les moins bien évalués en termes de réputation. Kia, Daewoo et Hyundai étaient les mieux évalués.

L’influence de la réputation sur la relation entre les rappels de véhicules et la sanction du marché

Rhee et Haunschild ont constaté que la part de marché de tous les constructeurs diminue sensiblement lorsqu’ils effectuent des rappels. Ils ont également observé que la part de marché des constructeurs les plus réputés diminue beaucoup plus fortement que celle des constructeurs les moins réputés. L’explication est relativement simple. Les clients ont des attentes beaucoup plus élevées envers Lexus, BMW ou Acura qu’envers Kia, Daewoo ou Hyundai par exemple. Ils ont alors tendance à ne rien leur pardonner … et on aboutit au paradoxe selon lequel il est parfois préférable d’avoir une mauvaise réputation qu’une bonne réputation !

Le rôle de l’intensité concurrentielle et du degré de spécialisation

Est-il toujours aussi « néfaste » d’avoir une bonne réputation ? Pour répondre à cette question, Rhee et Haunschild ont également pris en compte le rôle de l’intensité concurrentielle et le degré de spécialisation des différentes entreprises. Les résultats montrent que les constructeurs les plus réputés sont moins sanctionnés lorsque l’intensité concurrentielle est faible. En effet, il est alors plus difficile pour les clients potentiels de se reporter vers des concurrents équivalents. Les résultats suggèrent également que les constructeurs les plus réputés souffrent moins lorsque ce sont des spécialistes plutôt que des généralistes. Les clients semblent être plus tolérants envers les écarts des spécialistes (les plus réputés) que des généralistes (les plus réputés) …

En résumé, avoir une bonne réputation est une arme à double tranchant. Plus une entreprise est réputée, plus les attentes des clients sont élevées … et plus ils ont tendance à la sanctionner au moindre accroc. Le rôle de la presse n’est pas neutre car elle s’intéresse plus aux déboires des constructeurs réputés (comme Toyota ces dernières années …) que des autres.