mercredi 25 mai 2016

Qu’est-ce qu’une entreprise ne doit absolument pas faire lorsqu’elle est en difficulté ?




Lorsqu'une entreprise est en difficulté, elle commence généralement par geler les salaires et réduire les effectifs. Ce ne sont pas forcément de bonnes décisions ...

Lorsqu’il anime des séminaires de formation avec des managers, Jeffrey Pfeffer leur pose souvent la question suivante : « Supposez que vous travailliez pour moi et que je vous dise : l’entreprise se porte mal. Ses difficultés proviennent de mauvaises décisions stratégiques (auxquelles vous n’avez d’ailleurs pas participé …). Pour redresser l’entreprise, je vous propose de réduire votre salaire de 25%. Qu’en pensez-vous ? » D’après Jeffrey Pfeffer, aucun participant n’a jamais répondu : « Merci d’avoir pris cette décision difficile mais cruciale pour l’entreprise. » Les réponses les plus fréquentes sont : « Je vais immédiatement chercher un nouveau travail » ou « Je vais beaucoup moins m’impliquer dans mon travail. »

Lorsque les entreprises font face à des difficultés, le premier réflexe est souvent de geler (voire de diminuer …) les salaires. La plupart des dirigeants ne sont pas conscients des implications d’une telle décision. D’un côté, elle incite le personnel le plus mobile (qui est souvent le plus performant …) à quitter l’entreprise. D’un autre côté, elle démotive le personnel qui reste dans l’entreprise. Les conséquences des réductions d’effectifs (un autre réflexe classique …) ne sont pas meilleures ...

José Allouche, Patrice Laroche et Florent Noël ont réalisé une synthèse des articles de recherche publiés sur le thème du « downsizing ». Elle suggère que les licenciements induisent de nombreux coûts cachés : démotivation des « survivants », destruction des réseaux informels à l'intérieur de l'entreprise, diminution de la capacité d'innovation ... Dans la plupart des cas, ces coûts annihilent purement et simplement les économies générées par la baisse des effectifs. Seules les restructurations opérées dans une logique » industrielle » (réorganisation de l'entreprise, recentrage sur le cœur de métier, meilleure allocation des ressources …) peuvent être bénéfiques pour les entreprises... mais pas avant deux ou trois ans. Ce délai s'explique par le fait que les coûts cachés que nous venons d’évoquer doivent être résorbés.

En bref, les dirigeants ont souvent tendance à oublier que leurs décisions ont des conséquences. Diminuer les salaires ou réduire les effectifs est parfois nécessaire pour permettre à une entreprise de survivre … mais il ne faut pas oublier les ravages que de telles décisions peuvent provoquer au sein du personnel.

Sources :
Allouche, J., Laroche, P., & Noël, F. (2008), "Restructurations et performance de l'entreprise : une méta-analyse", Finance Contrôle Stratégie, 11(2), 105-146.
Pfeffer, J. (2013), What were they thinking?, Harvard Business School Press.

mardi 17 mai 2016

Un Conseil d'Administration qui décide contre sa volonté : le paradoxe d'Abilene




Les Conseils d'Administration des entreprises prennent souvent des décisions auxquelles tous leurs membres sont opposés. C'est le fameux paradoxe d'Abilene ... 

En plein cœur de l’été, Jerry Harvey, sa femme et ses beaux-parents sont assis dans leur jardin de Coleman au Texas. Ils jouent aux dominos tout en buvant de la citronade. Le beau-père de Jerry propose alors d’aller déjeuner à Abilene. Jerry n’est pas vraiment enthousiaste. Abilene est située à 53 miles … et la vieille Buick de ses beaux-parents n’est pas climatisée. Comme tout le monde semble vouloir aller à Abilene, Jerry n’ose pas s’opposer ...

De retour d’un périple de 106 miles (4 heures de route …) en pleine fournaise, Jerry, sa femme et ses beaux-parents finissent par se rendre compte que personne n’a jamais voulu aller à Abilene … Le beau-père a fait cette proposition pour faire plaisir à sa fille et son gendre. Ils ont accepté pour lui faire plaisir. Jerry, sa femme et ses beaux-parents ont alors fini par faire ce que personne ne voulait faire … parce qu’aucun d’entre eux n’a exprimé son désaccord. C’est le paradoxe d’Abilene.

James Westphal et Michael Bednar ont étudié ce phénomène dans les entreprises américaines. Ils ont notamment cherché à comprendre pourquoi leurs Conseils d’Administration remettent aussi rarement en cause les mauvaises décisions des dirigeants. Leur étude porte sur 228 entreprises américaines en mauvaise santé financière. Ils ont commencé par demander aux membres du Conseil d’Administration de donner leur opinion sur la stratégie de l’entreprise. Puis, ils les ont interrogés sur ce qu’ils pensaient être l’opinion des autres membres du Conseil d’Administration. Les résultats de l’étude illustrent parfaitement le paradoxe d’Abilene : un membre du Conseil d’Administration est d’autant moins susceptible de remettre en cause la mauvaise stratégie d’une entreprise qu’il pense que les autres membres du Conseil d’Administration ne partagent pas ses inquiétudes …

En bref, on compte souvent sur le Conseil d’Administration pour remettre en cause les mauvaises décisions des dirigeants. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Le Conseil d’Administration peut entériner des décisions … alors que tous ses membres pensent qu’elles sont mauvaises !

Sources :
Harvey, J. (1988), “The Abilene paradox: The management of agreement”, Organizational Dynamics, 17(1), 17-43.
Westphal, J. & Bednar, M. (2005), “Pluralistic ignorance in corporate boards and firms' strategic persistence in response to low firm performance”, Administrative Science Quarterly, 50(2), 262-298.