mercredi 28 janvier 2015

Une entreprise est-elle plus performante si elle formule une mission ?



La plupart des entreprises formulent une mission. L’hypothèse implicite est que cela leur permet d’améliorer leur performance. Mais est-ce réellement le cas ?

Qu’est-ce que la mission d’une entreprise

La mission peut être définie comme l’expression de la raison d’être d’une entreprise. Dans certains cas, elle intègre également des éléments comme ses objectifs ou ses valeurs. Par exemple, la mission d’IKEA est de « proposer une vaste gamme d’articles d’ameublement, esthétiques et fonctionnels, à des prix si bas que le plus grand nombre pourra les acheter » alors que celle de Google est « d’organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous. » Contrairement à la mission, la vision d'une entreprise décrit ses aspirations. Si la mission de Disney est de « rendre les gens heureux », sa vision est de « devenir le leader mondial du divertissement ».

Les entreprises ont-elles intérêt à formuler une mission ? Si oui, quel doit être son contenu ? Pour répondre ces questions, Christopher Bart et Mark Baetz ont étudié le lien entre l’existence d’une mission, les composantes de cette mission et la performance financière (ROS, ROA, évolution du chiffre d’affaires et évolution de la rentabilité) de 136 entreprises canadiennes.

Existence d’une mission et performance
A priori, les entreprises qui formulent une mission devraient être plus performantes que les autres pour deux raisons. Une mission donne du sens et accroît l’implication des employés. Elle évite également de se disperser. Malheureusement, les résultats de l’étude ne sont pas très concluants. Si la formulation d’une mission est bien corrélée positivement avec le ROS, elle est corrélée négativement avec l’évolution du chiffre d’affaires et de la rentabilité ! Les entreprises doivent-elles alors renoncer à se donner une mission ? Pas forcément … car tout dépend peut-être de leur contenu.

Contenu de la mission et performance

Le contenu de la mission varie fortement d’une entreprise à l’autre. En les analysant, les chercheurs ont distingué quatre composantes : la raison d’être, les valeurs, les objectifs financiers et le positionnement stratégique. Ils ont alors relié ces quatre composantes à la performance des entreprises.

Les résultats montrent que les entreprises qui font figurer une raison d’être ou des valeurs dans leur mission sont plus performantes que les autres (en termes de ROS). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, celles qui y font figurer des objectifs financiers sont moins performantes que les autres (en termes de ROS et d’évolution du chiffre d’affaires). La mention du positionnement stratégique n’a aucun lien avec la performance.

L’étude prend également en compte la longueur de la mission (en nombre de mots !). Les résultats sont très clairs : plus la mission est longue, moins l’entreprise est performante !

En conclusion, les entreprises ont plutôt intérêt à formuler une mission. Elle doit comporter une raison d’être et des valeurs. Elle doit aussi rester concise. En revanche, elle doit éviter de mentionner des objectifs financiers. Paradoxalement, les entreprises qui se focalisent sur la rentabilité ne sont pas les plus rentables !

vendredi 16 janvier 2015

Pourquoi la qualité totale, la méthode Six Sigma et la norme ISO 9000 empêchent-elles les entreprises d’innover ?



De nombreuses entreprises ont adopté le management par les processus. Si elles en bénéficient à court terme, les implications à long terme sont souvent plus mitigées …

L’essor du management par les processus
Depuis les années 1980, le management par les processus (qualité totale, méthode Six Sigma, norme ISO 9000 …) s’est diffusé dans la plupart des entreprises. A l’origine, il était cantonné à la production. Par la suite, il a touché de nombreuses autres fonctions.

La rationalisation des processus est souvent bénéfique pour les entreprises. Elle permet d’améliorer leur efficience (et donc leur performance à court terme). Mais quels sont ses effets sur la performance à long terme ?

Pour le savoir, Mary Benner et Michael Tushman ont étudié l’influence de la norme ISO 9000 sur la capacité d’innovation des entreprises dans deux secteurs d’activité : la photographie (un secteur « high tech ») et la peinture (un secteur « low tech »).

Management par les processus et innovation …

Comme souvent dans ce type d’étude, la capacité d’innovation a été mesurée par le nombre et le type de brevets déposés par les entreprises. Les deux chercheurs distinguent les innovations incrémentales (qui s’appuient sur des connaissances qui existent déjà dans l’entreprise … mais dont la portée reste limitée) et les innovations radicales (qui nécessitent de développer de nouvelles connaissances … mais dont l’influence peut être considérable).

Les résultats de l’étude sont sans appel. Les entreprises qui ont mis en place la norme ISO 9000 réalisent moins d’innovations radicales que les autres. Cet effet est particulièrement marqué dans les secteurs « high tech » (où l’innovation est cruciale …). Il l’est un peu moins dans les secteurs « low tech ». A l’inverse, on peut noter qu’elles réalisent plus d’innovations incrémentales que les autres. Cet effet peut être observé dans les secteurs « high tech » comme dans les secteurs « low tech ».

… un oxymore ?
Pourquoi les entreprises qui ont adopté le management par les processus réalisent-elles moins d’innovations radicales et plus d’innovations incrémentales que les autres ? L’explication est simple. Pour développer des innovations radicales, une entreprise doit expérimenter. Plus une entreprise rationalise ses processus, moins elle laisse de place à l’expérimentation … En revanche, les innovations incrémentales sont cohérentes avec la « philosophie » du management par les processus. Elles sont moins ambitieuses et permettent souvent d’améliorer l’efficience à court terme.

En bref, le management par les processus est souvent néfastes à long terme parce qu’il empêche les entreprises de se renouveler. Le problème est qu’il existe un décalage temporel entre sa mise en place et la matérialisation de ses effets délétères. Les entreprises éprouvent alors les plus grandes difficultés à faire le lien entre la cause (le management par les processus) et l’effet (la réduction de la capacité d’innovation). Elles continuent alors à utiliser des techniques beaucoup moins intéressantes qu’elles ne le pensent …