lundi 25 septembre 2017

Transformation digitale : apprendre à reculer pour mieux sauter




Pour être performant à long terme, il faut souvent accepter de réduire sa performance à court terme ...

Netflix a été fondée par Reed Hastings en 1997. A l’origine, cette entreprise américaine était spécialisée dans la location de DVD sur Internet. En 2000, son chiffre d’affaires était inférieur à 300.000 dollars et elle perdait de l’argent. Le dos au mur, Reed Hastings, proposa aux dirigeants de Blockbuster (un réseau de vidéoclubs dont le chiffre d’affaires dépassait les cinq milliards de dollars) de prendre 49% du capital de Netflix. L’idée de Reed Hastings était d’utiliser le savoir-faire technologique de Netflix pour développer une activité « online » chez Blockbuster. Les dirigeants de Blockbuster déclinèrent la proposition. Huit ans plus tard, leur entreprise déposait le bilan. Quasiment au même moment, Netflix faisait son entrée dans l’indice S&P 500. Comment expliquer des trajectoires aussi différentes ?

Les dirigeants de Blockbuster ont commis une erreur très fréquente : ils se sont contentés de capitaliser sur l’activité qui a fait leur succès (la gestion de leur réseau de vidéoclubs). Au moment de l’introduction en bourse de Netflix en 2002, Blockbuster n’était toujours pas présente dans la location de DVD sur Internet. Un porte-parole de Blockbuster justifiait ce choix de la manière suivante : « Ce n’est pas une activité viable. La demande n’est pas encore assez importante. » Lorsque Netflix s’est lancée dans le streaming en 2005, le directeur financier de Blockbuster s’est contenté de déclarer : « Le business model du streaming ne fonctionne pas encore. »

Contrairement aux dirigeants de Blockbuster, les dirigeants de Netflix ne se sont pas contentés de faire fructifier leur activité d’origine (la location de DVD sur Internet). Ils ont rapidement investi dans une nouvelle activité (le streaming). Surtout, ils ont accepté que la nouvelle activité cannibalise leur activité d’origine. En d’autres termes, ils ont accepté de reculer pour mieux sauter … Comme l’a raconté Reed Hastings : « J’étais obsédé par les exemples d’entreprises comme Kodak. Elles sont mortes parce qu’elles ont été trop prudentes. »

Mais le timing n’est jamais évident. Si la plupart des entreprises réagissent trop tard, Netflix a commis l’erreur inverse. Persuadé du déclin rapide de la location de DVD sur Internet, Reed Hastings a filialisé cette activité dès 2011. Mais la plupart des clients n’étaient pas encore mûrs pour le streaming et l’entreprise a dû faire marche arrière...

Source : O’Reilly, C., & Tushman, M. (2016), Lead and Disrupt: How to Solve the Innovator's Dilemma. Stanford University Press.

vendredi 1 septembre 2017

Qu'est-ce qu'une bonne vision d'entreprise ?




La plupart des dirigeants ne savent pas ce qu'est une bonne vision d'entreprise ...

Un des principaux rôles des dirigeants est de développer une vision pour leur entreprise. Qu’est-ce qu’une vision d’entreprise ? On la définit parfois comme « un portrait verbal de ce qu’une entreprise souhaite réaliser ». Par exemple, la vision du distributeur de jouets Toys’R’Us est de « mettre de la joie dans le cœur des enfants et un sourire sur le visage de leurs parents. » 

Une vision d’entreprise comporte habituellement deux composantes : des images et des concepts (comme l’excellence, la satisfaction des clients, l’innovation ou la qualité). A-t-on plutôt intérêt à mettre l’accent sur les images ou sur les concepts ? Pour le savoir, Andrew Carton, Chad Murphy et Jonathan Clark ont mené une étude sur 151 hôpitaux américains. Les résultats sont très clairs. Ils montrent que les meilleures visions sont celles qui comportent beaucoup d’images et le moins de concepts possible.

Ce phénomène est assez facile à expliquer :
  • les images sont plus parlantes que les concepts ;
  • les concepts sont plus susceptibles que les images de donner lieu à des interprétations différentes selon les employés ;
  • enfin, la multiplication des concepts est une source de confusion pour les employés.

Lorsqu’ils développent une vision pour leur entreprise, les dirigeants devraient donc utiliser des images plutôt que des concepts. Le problème est que l’étude montre qu’ils ont tendance à faire exactement le contraire ! Ce phénomène s’explique de la manière suivante : plus les dirigeants se projettent dans le futur, plus ils raisonnent de manière abstraite … et plus ils ont tendance à utiliser de concepts. Malheureusement, les managers et les employés ne parviennent pas à s'approprier ces visions trop abstraites. In fine, la performance de l'entreprise s’en ressent.

En bref, une bonne vision d’entreprise s’appuie sur des images plutôt que sur des concepts. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de vision ! Dans le cas de Toys’R’Us, « Mettre de la joie dans le cœur des enfants et un sourire sur le visage de leurs parents » est bien plus convaincant que « Devenir un leader mondial de la distribution de jouets. »

Carton, A. M., Murphy, C., & Clark, J. R. (2014), “A (blurry) vision of the future: How leader rhetoric about ultimate goals influences performance”, Academy of Management Journal, 57, 1544-1570.