vendredi 24 mars 2017

Comment les entreprises empêchent les bonnes idées de s'exprimer




Les entreprises empêchent souvent les bonnes idées de s'exprimer. Comment expliquer ce phénomène surprenant ?

Lorsqu’on travaille dans une entreprise, on hésite souvent à s’exprimer. Même quand on a de bonnes idées, on ne les communique pas forcément à son supérieur hiérarchique. Il y a deux explications à ce phénomène. Dans certains cas, on pense que cela ne servira à rien. Dans d’autres cas, on a peur de la réaction de son supérieur hiérarchique.

Ces craintes sont-elles justifiées ? Pour le savoir, Ethan Burris a étudié 281 dans une chaîne de restaurants américaine. Les idées proposées par les managers sont-elles adoptées ? Les managers sont-ils mieux évalués lorsqu’ils proposent de nouvelles idées ? Les résultats de l’étude sont très clairs. Lorsqu’on propose une idée qui va dans le sens de ce que pense son supérieur hiérarchique (« supportive voice »), tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’idée a toutes les chances d’être mise en œuvre … et le supérieur hiérarchique nous mettra une bonne évaluation. Les choses se gâtent lorsqu’on propose une idée qui remet en cause ce que pense son supérieur hiérarchique (« challenging voice »). L’idée n’a alors quasiment aucune chance d’être mise en œuvre … parce que le supérieur hiérarchique fera tout pour la « torpiller ». Pire, il nous mettra une mauvaise évaluation !

Ces résultats sont déprimants … mais assez faciles à expliquer. Lorsqu’on remet en cause un supérieur hiérarchique, il a tendance à nous considérer comme peu loyal … voire comme une menace. Même si nos idées présentent un véritable intérêt pour l’entreprise, il y sera peu réceptif. En outre, il nous fera payer notre outrecuidance en nous gratifiant d’une mauvaise évaluation.

Dans les entreprises, on hésite souvent à s’exprimer parce qu’on a peur des conséquences. Comme le montre cette étude, on a raison … mais seulement en partie. On est uniquement mal vu quand on propose des idées qui remettent en cause le statu quo. Paradoxalement, ce sont les idées dont les entreprises ont le plus besoin pour s’améliorer …


Source : Burris, E. (2012), “The risks and rewards of speaking up: Managerial responses to employee voice”, Academy of Management Journal, 55, 851-875.

mardi 14 mars 2017

Il faut se méfier du "bon sens" !




Le "bon sens" permet de tout expliquer ... mais uniquement a posteriori. Il vaut donc mieux s'en méfier.

A la fin des années 1940, le sociologue Paul Lazarsfeld a écrit un article dans lequel il synthétisait les résultats d’une étude menée par le ministère de la défense américain. L’étude portait sur plus de 600.000 soldats et un résultat avait particulièrement attiré son attention. Il indiquait que les soldats qui vivaient à la campagne s’étaient beaucoup mieux adaptés à la vie militaire que les soldats qui vivaient dans des villes.

Ce résultat n’était pas très surprenant. A cette époque, la vie à la campagne était particulièrement dure. Le travail y était très physique. Pourquoi financer des études aussi coûteuses pour démontrer des résultats qui relèvent du "bon sens" ? Mais Lazarsfeld révéla alors qu’il avait piégé ses lecteurs. En fait, l’étude montrait que les soldats qui vivaient dans des villes s’étaient le mieux adaptés à la vie militaire. Après tout, cela relevait aussi du "bon sens". La plupart des citadins travaillaient dans des entreprises. Ils étaient donc beaucoup plus habitués à la discipline qui caractérise la vie militaire.

On se demande souvent à quoi servent les recherches en sciences sociales (sociologie, psychologie ou management …). Pourquoi faire des recherches dont les résultats relèvent du "bon sens" ? Le problème est que le "bon sens" permet de tout expliquer … mais uniquement a posteriori. Pour comprendre un phénomène, il vaut mieux se fier à la recherche qu’au "bon sens".

Un dernier exemple. Quel est le principal déterminant de la fraude fiscale ? Les résultats d’une étude menée sur 45 pays montrent qu’il s’agit avant tout de la pression fiscale. Plus elle est élevée, plus on cherche à se soustraire à l’impôt. Encore un résultat qui relève du "bon sens" … mais qui est faux. En effet, l’étude a montré que le principal déterminant de la fraude fiscale est la complexité du code des impôts. Plus la législation est complexe, plus on cherche à se soustraire à l’impôt. La pression fiscale n’a pas d’impact sur la fraude fiscale … un résultat qui ne relève pas vraiment du "bon sens" !


Sources :
Richardson, G. (2006), “Determinants of tax evasion: A cross-country investigation”, Journal of International Accounting, Auditing and Taxation, 15, 150-169.
Watts, D. (2011), Everything is obvious once you know the answer, Crown Business.