vendredi 22 janvier 2016

Pourquoi est-il contre-productif de fixer des objectifs ?



Pour atteindre un niveau de performance élevé, on recommande souvent de fixer des objectifs clairs, précis et ambitieux. Cette approche présente pourtant des inconvénients …


Objectifs et performance

Fixer des objectifs clairs, précis et ambitieux est souvent considéré comme la panacée pour améliorer la performance d’une entreprise. Comme l’ont montré Lisa Ordonez, Maurice Schweitzer, Adam Galinsky et Max Bazerman, ce n’est pas toujours le cas.
En 2002, General Motors détient 28,2% du marché automobile américain. Les dirigeants de l’entreprise se fixent alors un objectif clair, précis et (relativement) ambitieux : atteindre 29% de part de marché. Pour l’atteindre, les commerciaux sont incités à consentir des rabais et des prêts sans intérêt aux clients. Les conditions sont tellement avantageuses que General Motors perd de l’argent sur chaque véhicule vendu ! Pourtant, personne ne songe à remettre en cause l’objectif des 29%. Comme l’a noté The Economist : « Focalisée sur cet objectif, l’entreprise a enchaîné les décisions désastreuses … ce qui l’a conduit à la faillite. »

Des objectifs clairs, précis et ambitieux Les objectifs clairs et précis présentent des avantages. Ils évitent de se disperser. Il est également plus facile d’évaluer s’ils ont bien été atteints. En revanche, ils ont pour inconvénient de détourner l’attention d’autres objectifs … peut-être tout aussi importants.
Les objectifs ambitieux (suffisamment pour être motivants … mais pas trop pour ne pas être décourageants) poussent à se surpasser. Mais, ils comportent aussi des limites. Pour les atteindre, on est parfois tenté de prendre des risques trop importants ou d’adopter des comportements « non éthiques » (comme les dirigeants de Bausch & Lomb qui ont falsifié les comptes de leur entreprise pour atteindre leurs objectifs financiers au milieu des années 1990 …).

Que faire ?
Que faire pour éviter que les objectifs ne deviennent contre-productifs ? Même s’il n’y a pas de recette miracle, on peut avancer plusieurs pistes.
Pour éviter les travers liés aux objectifs clairs et précis, il est recommandé de prendre en compte toutes les dimensions de la performance (et pas uniquement la performance financière …). Il faut également s’assurer que les efforts consentis pour atteindre les objectifs à court terme ne conduiront pas à négliger le long terme.
Pour éviter les dérapages induits par les objectifs trop ambitieux, il faut se donner les moyens de les atteindre. Il est également recommandé de se montrer (un peu) plus tolérant vis-à-vis de ceux qui ne parviennent pas à les atteindre. En revanche, les comportements « non éthiques » doivent être sanctionnés.

vendredi 15 janvier 2016

Vaut-il mieux faire confiance aux consultants ou aux chercheurs ?



      

Les entreprises auraient peut-être plus intérêt à écouter les chercheurs en management ...

En 2001, Ed Michaels, Helen Handfield-Jones et Beth Axelrod (trois consultants du cabinet McKinsey) publient un ouvrage intitulé The War for Talent. Leur message est limpide. Pour battre ses concurrents, une entreprise doit commencer par gagner la « guerre du talent ». Cela nécessite notamment d’attirer et de fidéliser le plus grand nombre de « stars » possible (les A players) … en les payant beaucoup plus que les autres employés (les B players et surtout les C players). Peut-on se fier à cette analyse ? D’après Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, la réponse est : « non » … pour deux raisons.

D’une part, la recherche des trois consultants ne tient absolument pas la route. Pour valider leur « théorie », ils ont commencé par évaluer la façon dont une centaine d’entreprises géraient leurs « talents » en 2000. Puis, ils ont fait le rapprochement avec leur performance dans les années 1990 … En d’autres termes, ils ont montré que la façon dont les entreprises gèrent leurs talents « aujourd’hui » explique leur performance « hier » ! S’ils avaient étudié le lien entre le tabagisme et le cancer du poumon, cela serait revenu à montrer que le cancer du poumon provoque le tabagisme …

D’autre part, les trois consultants n’ont absolument pas tenu compte des centaines d’articles de recherche qui ont étudié la relation entre la dispersion des salaires et la performance des entreprises. La quasi-totalité de ces articles a abouti à la même conclusion … diamétralement opposée à celle de The War for Talent. Lorsqu’une activité demande un minimum de collaboration entre les employés d’une même entreprise, plus les écarts de salaires sont élevés, moins l’entreprise est performante !

Ce phénomène a été observé dans de nombreux domaines. Ainsi, une étude a montré que les équipes de baseball dans lesquelles l’écart entre le joueur le plus payé et le joueur le moins payé est le plus important sont celles qui gagnent le moins souvent leurs matchs. Elles attirent également moins de spectateurs et d’annonceurs. Une autre étude a montré que plus l’écart de salaire entre le PDG et les employés d’une entreprise est important, moins la qualité de ses produits est élevée. La liste est interminable …

En bref, mieux vaut se fier à la recherche en management qu’aux études des consultants … Comme elle reste confidentielle, elle peut donner un véritable avantage aux entreprises qui font l’effort de s’y intéresser !

Sources :
Michaels, E., Handfield-Jones, H., & Axelrod, B. (2001), The war for talent, Harvard Business School Press.
Pfeffer, J., & Sutton, R. (2006), Hard facts, dangerous half-truths, and total nonsense, Harvard Business School Press.