vendredi 11 janvier 2013

Pourquoi faut-il une bonne dose d’incompétence pour être un (très) bon expert ?



On est souvent admiratif devant les experts qui sont capables de prévoir les événements les plus improbables. On ne devrait pourtant pas l’être autant … car cela nécessite avant tout une bonne dose d’incompétence …

Les experts sont souvent évalués sur la qualité de leurs prévisions. A première vue, on peut penser que les experts qui sont capables de prédire les événements les plus improbables sont également les plus compétents. Paradoxalement, ce n’est pas le cas. Comme l’ont montré Jerker Denrell et Christina Fang, c’est généralement l’apanage des experts les moins compétents …

Comment expliquer ce paradoxe ? Les événements les plus extrêmes sont également les plus rares. Les experts qui prennent en compte l’ensemble des informations disponibles ont du mal à les anticiper car ils font des prévisions « raisonnables ». En revanche, les experts qui se fient avant tout à leur intuition n’hésitent pas à faire des prévisions beaucoup plus audacieuses. La plupart du temps, ces prévisions sont fausses. De temps en temps, elles sont exactes … et on aboutit au paradoxe que les événements les plus improbables ont plus de chances d’être prédits par les experts qui manquent le plus de capacité de jugement …

Le cas des économistes

Tous les six mois, le Wall Street Journal demande à cinquante économistes de prédire l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs macro-économiques (PIB, inflation, chômage …). Cette étude est publiée deux fois par an (en janvier et en juillet). Dans leur étude, Denrell et Fang ont commencé par mesurer la qualité des prévisions faites par les économistes. Concrètement, ils ont calculé l’écart moyen entre ces prévisions et la réalité. Ils ont alors constaté que les économistes qui font les moins bonnes prédictions en moyenne ont également tendance à faire les prévisions les plus extrêmes. Dans la plupart des cas, ils sont « à côté de la plaque ». Mais dans certains cas, ils sont les seuls à avoir anticipé des événements que les autres n’avaient pas su prédire.

Cette démarche peut être illustrée par le cas d’un certain Sung Won Sohn. Il a été récompensé par le prix du meilleur économiste le semestre où il a prédit une hausse forte de l’inflation alors que la plupart de ses collègues avaient prédit une baisse. Comment avait-il abouti à cette conclusion ? C’est très simple. Un fabricant de jeans californien lui avait expliqué qu’il ne parvenait pas à satisfaire la demande de jeans « haut de gamme ». Il en avait conclu qu’il « devait y avoir pas mal d’argent en circulation » … et que l’inflation n’allait pas tarder à augmenter. Bien évidemment, cette approche intuitive ne fonctionne pas à tous les coups. Les deux semestres précédents, Sung Won Sohn avait été classé 43ème et 49ème sur 50.

Le cas des experts en sciences politiques
Des résultats similaires ont été observés dans les sciences politiques. Par exemple, Philip Tetlock a montré que les experts les plus marqués idéologiquement sont (parfois) capables de prédire des événements totalement improbables. Ce sont notamment les seuls à avoir anticipé la guerre en ex-Yougoslavie. En revanche, la plupart de leurs autres prévisions ne se sont jamais matérialisées. Par exemple, la guerre entre la Hongrie et la Roumanie n’a toujours pas eu lieu. La Russie n’a toujours pas envahi les pays baltiques …

En résumé, un « bon » expert doit être capable de faire de bonnes prévisions … mais on ne peut pas attendre de lui qu’il prédise des événements totalement improbables. Cela reste la prérogative des « mauvais » experts !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire